A lire moultes fois, avec pâtés de cygne, et vin de Bourgogne.

Nombreux sont ceux qui découvriront Les Rois maudits par l'excellent feuilleton sorti en 1972, avec Jean Piat (paix à son âme) dans le rôle du massif et truculent Robert d'Artois. Voire, avec la série sortie dans les années 2000 (que votre serviteur n'a pas eu le (dé?)plaisir de voir). Mais quelque soit la série, une fois celle-ci achevée, il se peut que l'on ait envie de jeter un coup d’œil à la saga littéraire qui l'a vue naître.

Qui facit haec non commovebitur.

Pendant six tomes, l'on se retrouve plongé au cœur du Moyen-Âge, de ce XIVe siècle qui vit l'apogée et le déclin du royaume de France, l'on patauge dans la boue des ruelles, l'on s'extasie devant les tapisseries, l'on assiste aux décisions qui mènent le royaume à sa gloire... ou à sa perte.

Car c'est de cela qu'il s'agit. Les Rois maudits est d'abord une saga politique, où deux conceptions du monde s'affrontent. D'un côté, les traditionalistes, défenseurs du vieux système féodal où chaque seigneur est maître en son logis et en ses terres, le roi étant le premier d'entre eux, sans plus. De l'autre, les réformateurs, partisans de l'état fort et d'une royauté toute-puissante (y compris vis-à-vis de la foi catholique), qui annoncent ainsi la naissance de l'état moderne, dont on sait comment il finira...

Au centre de tout ceci, le comte Robert d'Artois. S'il se situe résolument dans le premier camp, il n'en lutte pas moins pour ses propres intérêts d'abord. Mais il le fait avec classe, avec extravagance, brutalité et impétuosité. Il en ressort un personnage fort attachant en dépit de ses excès : c'est un pur produit du monde féodal, un chevalier, mais qui n'en agit pas moins avec dissimulation, ruse et fourberie. On le déteste à cause de ses cruautés, mais on peut aussi apprécier en lui l'effort d'un monde déjà vieillissant, qui ne tardera pas à disparaître sous les coups de la centralisation, de l'étatisme et de la modernité politique.

Les Rois maudits, c'est aussi l'histoire d'une tragédie. Par avance, le lecteur sait comment tout cela va se terminer. Pas de surprises donc, l'auteur vend la mèche ; mais l'inexorable marche du destin, qui rend chaque événement terrible et poignant. A cet égard, l'histoire d'amour entre Guccio et Marie prend le lecteur aux tripes, l'auteur annonçant, au moment où les deux amants vivent l’apothéose de leur communion, que le malheur n'allait pas tarder à leur tomber dessus.

Ici, tous paraissent mauvais, vils, lâches, calculateurs, menteurs, cruels, égoïstes et orgueilleux. Celui qui croit encore aux sentiments humains peut donc avoir du souci à se faire, surtout aujourd'hui, où le pessimisme est la règle et l'exposition des travers de l'homme, un jeu de plus en plus répandu et recommandé par tous (ce qui ne le rend pas moins malsain). Heureusement, Druon n'oublie pas de montrer aussi de belles choses : le repentir de Charles de Valois, l'examen de conscience de Marigny, la passion de Guccio et Marie, la noblesse de Philippe le Bel et même, par moments, quelques belles actions de Robert d'Artois ; car, comme le dit l'auteur à son sujet, "nul homme n'est absolument mauvais".

Beau, épique, noble, grandiose, somptueux, cruel, malicieux, tortueux, sombre, tragique et, par instants, traversé d'un sentiment religieux (Druon ayant toujours été proche du catholicisme sans pour autant y adhérer tout à fait), les Rois maudits est une lecture incomparable, un excellent divertissement se lisant plaisamment et une vaste saga sur une page méconnue de l'histoire de France.

Il n'est pas difficile de se demander pourquoi G.R.R. Martin a pris cette saga comme exemple pour ses propres œuvres...

Adonques, lisez, gent damoiseaux et gentes pucelles ! Et Dieu vous garde en Sa sainte protection !