Les Saisons
8.1
Les Saisons

livre de Maurice Pons (1965)

Siméon cherche désespérément un endroit pour abriter son matériel d’écrivain (joli papier, beau crayon, idées à la pelle et besoin de partager ses mots, sa culture, sa souffrance, son être). Quand il arrive dans un village où règnent la pluie et le gel, les lentilles et une certaine culture de la crasse et de la pourriture, son brave cœur de naïf lui souffle qu’il a trouvé un endroit idéal pour nicher. Celui où son beau caractère et ses idéaux d’écrivain seront sans nul doute respectés et vénérés par la bande de rustres qui constituent la population archaïque du village et dont les clichés ravissent sa condescendance.


Aveugle aux autres, il n’hésite pas à se sacrifier, cherchant à se faire accepter des autres, prêt à accepter leurs insultes, leurs humiliations, la douleur… Prêt à s’offrir en martyr, y voyant là la transcendance de ces idéaux, revivant l’épopée du Christ sans parvenir pour autant à sauver l’humanité.


C’est un roman cru et cynique, qui déconcertera certainement maints lecteurs. Pour les autres, c’est la promesse d’un grand moment de ténèbres. Les saisons content, atrocement, la lente exploitation- dévoration d’un individu par la société : Siméon sacrifiera des bouts de son corps comme de son âme à ces villageois horribles et y verra là, absurdement, la preuve de son intégration. Inconscient de son inadaptation au milieu grotesque qui l’entoure, où les ânes sont carnivores et où l’amputation est le plus souverain des remèdes, il se martyrisera, candide au pays des pourritures, jusqu’à réaliser que la seule issue – qu’on lui interdira- est la fuite. Cherchant à fuir les blessures de la vie dans la compagnie de ses semblables, il vivra une passion pathétique, persuadé quasi jusqu’au bout que l’art est l’ultime refuge contre la médiocrité du monde.


C’est le roman anti-romantique par excellence : l’artiste n’y est plus la flamme qui éclaire le monde, mais un ingénu aveugle qui ne peut lutter contre un monde sordide, pourri, soulagé de se laisser aller à la pourriture, refusant la nouveauté, et dont l’ultime rêve d’Ailleurs se soldera par un échec cuisant. C’est une sorte de dystopie (utopie négative) où l’humanité échoue à accepter l’Autre et à revivifier son pouvoir de révolte et d’émerveillement.


Et pourtant ce n’est pas une prose sèche et implacable qui sert cette histoire sombre et grotesque : Maurice Pons a un style poétique inventif, qui fascine par sa propension à insuffler de la force et, à défaut de la beauté, de l’attraction dans les scènes atroces qu’il met en place (je pense notamment à la naissance de l’agneau pourri ou à l’accouplement forcé de Siméon). Il parvient, dans sa noirceur vertigineuse, à introduire une certaine bouffonnerie (l’âne dévorant de la pourriture de moignon reste un grand moment d’anthologie), qui ne fait qu’exalter davantage le grotesque achevé de ce monde où les saison se dilatent, tourbillonnent et emprisonnent ceux qui auraient le malheur de vouloir se projeter (dans le temps comme dans l’espace).


Grand roman piège, Les saisons fascinera ceux que n’effrayent pas la confrontation avec la noirceur de l’âme humaine.


http://www.delitteris.com/au-fil-des-pages/les-saisons/

LongJaneSilver
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 10 févr. 2016

Critique lue 1.2K fois

16 j'aime

3 commentaires

LongJaneSilver

Écrit par

Critique lue 1.2K fois

16
3

D'autres avis sur Les Saisons

Les Saisons
LongJaneSilver
8

Critique de Les Saisons par LongJaneSilver

Siméon cherche désespérément un endroit pour abriter son matériel d’écrivain (joli papier, beau crayon, idées à la pelle et besoin de partager ses mots, sa culture, sa souffrance, son être). Quand il...

le 10 févr. 2016

16 j'aime

3

Les Saisons
MarianneL
8

L’écriture pour magnifier un monde atroce et grotesque.

«Il arriva par le sentier de la cluse, vers le seizième mois de l’automne, qu’on appelait là-bas : la saison pourrie.» Sous des stries ininterrompues d’une pluie drue, Siméon, un étranger échappé des...

le 21 févr. 2013

13 j'aime

2

Les Saisons
villou
10

Si je devais en garder qu'un !!!

Ce serait celui là. J'ai du le lire au moins 20 fois. Toujours avec le même bonheur intact, cet enthousiasme qui va réellement à contre courant de la réalité de l'histoire. Cet univers, glauque,...

le 19 nov. 2010

8 j'aime

1

Du même critique

Certains l'aiment chaud !
LongJaneSilver
10

Wait for Sugar !

Je crois que c'est le premier Wilder que j'ai vu, enfant, grâce à la grand-mère d'une amie, qui nous montrait de vieux films avant de nous emmener au conservatoire. J'imagine que c'est pour cela que...

le 24 nov. 2013

56 j'aime

1

La Confusion des sentiments
LongJaneSilver
9

Ton Zweig.

C'était ton Zweig préféré. Celui que tu ne pourras plus lire. Tu ne m'as jamais su m'expliquer, pourquoi celui-ci plutôt qu'un autre, tu m'as juste fait lire chacun de ses livres, les uns après les...

le 15 août 2015

47 j'aime

La Colère des Titans
LongJaneSilver
1

La colère des profs de latin

Il y a ce moment difficile, dans la vie d'un prof de latin, où il faut détricoter les "adaptations" modernes de la mythologie, expliquer que non, Pégase n'est pas l'allié d'Hercule comme le conte...

le 4 déc. 2013

24 j'aime