Siméon cherche désespérément un endroit pour abriter son matériel d’écrivain (joli papier, beau crayon, idées à la pelle et besoin de partager ses mots, sa culture, sa souffrance, son être). Quand il arrive dans un village où règnent la pluie et le gel, les lentilles et une certaine culture de la crasse et de la pourriture, son brave cœur de naïf lui souffle qu’il a trouvé un endroit idéal pour nicher. Celui où son beau caractère et ses idéaux d’écrivain seront sans nul doute respectés et vénérés par la bande de rustres qui constituent la population archaïque du village et dont les clichés ravissent sa condescendance.
Aveugle aux autres, il n’hésite pas à se sacrifier, cherchant à se faire accepter des autres, prêt à accepter leurs insultes, leurs humiliations, la douleur… Prêt à s’offrir en martyr, y voyant là la transcendance de ces idéaux, revivant l’épopée du Christ sans parvenir pour autant à sauver l’humanité.
C’est un roman cru et cynique, qui déconcertera certainement maints lecteurs. Pour les autres, c’est la promesse d’un grand moment de ténèbres. Les saisons content, atrocement, la lente exploitation- dévoration d’un individu par la société : Siméon sacrifiera des bouts de son corps comme de son âme à ces villageois horribles et y verra là, absurdement, la preuve de son intégration. Inconscient de son inadaptation au milieu grotesque qui l’entoure, où les ânes sont carnivores et où l’amputation est le plus souverain des remèdes, il se martyrisera, candide au pays des pourritures, jusqu’à réaliser que la seule issue – qu’on lui interdira- est la fuite. Cherchant à fuir les blessures de la vie dans la compagnie de ses semblables, il vivra une passion pathétique, persuadé quasi jusqu’au bout que l’art est l’ultime refuge contre la médiocrité du monde.
C’est le roman anti-romantique par excellence : l’artiste n’y est plus la flamme qui éclaire le monde, mais un ingénu aveugle qui ne peut lutter contre un monde sordide, pourri, soulagé de se laisser aller à la pourriture, refusant la nouveauté, et dont l’ultime rêve d’Ailleurs se soldera par un échec cuisant. C’est une sorte de dystopie (utopie négative) où l’humanité échoue à accepter l’Autre et à revivifier son pouvoir de révolte et d’émerveillement.
Et pourtant ce n’est pas une prose sèche et implacable qui sert cette histoire sombre et grotesque : Maurice Pons a un style poétique inventif, qui fascine par sa propension à insuffler de la force et, à défaut de la beauté, de l’attraction dans les scènes atroces qu’il met en place (je pense notamment à la naissance de l’agneau pourri ou à l’accouplement forcé de Siméon). Il parvient, dans sa noirceur vertigineuse, à introduire une certaine bouffonnerie (l’âne dévorant de la pourriture de moignon reste un grand moment d’anthologie), qui ne fait qu’exalter davantage le grotesque achevé de ce monde où les saison se dilatent, tourbillonnent et emprisonnent ceux qui auraient le malheur de vouloir se projeter (dans le temps comme dans l’espace).
Grand roman piège, Les saisons fascinera ceux que n’effrayent pas la confrontation avec la noirceur de l’âme humaine.
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