Après avoir déterré Lisa Tuttle des tréfonds dévolus aux auteurs oubliés en France, les éditions Dystopia se sont attaché à extirper des mêmes tréfonds le charmant couple d'auteurs Yves et Ada Rémy. Pour notre plus grand bonheur. L'inédit Le prophète et le vizir m'avait enchantée. Je n'allais donc pas passer à côté de la réédition du recueil de nouvelles Les soldats de la mer, initialement paru en 1968 aux éditions Julliard.


Les Soldats de la mer nous entraîne dans un monde qui ressemble beaucoup au nôtre tel qu'il fût au 19ème ou au 18ème siècle. Dans les premiers récits, on se croirait presque à la jonction de la France, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique. Comme l'indique le titre, les différents récits nous conteront des histoires de soldats, sous le régime de la Fédération, sorte d'alliance politique et économique entre différentes nations. Cela dit, les récits s'attachent davantage à raconter des histoires d'hommes que de grandes batailles, même si parfois un brin de sens épique s'échappe des pages :


"Les grands bataillons oscillaient, bordés d'une frange de feu, avançant ou reculant comme des amibes, avec des lignes de front ondulantes épousant celles de l'ennemi ou les accidents de terrain. Mais dans la zone centrale, là où s'étaient disloquées les compagnie, ce n'était plus qu'un piétinement d'hommes au corps à corps, qu'un immense champ ravagé que traversaient des chevaux fous, sans cavaliers, dans un galop secoué, ou des pelotons de dragons égarés, crinières au vent, sabres levés, fonçant droit vers on ne sait quel but, désorientés, cherchant leur escadron et qui s'amenuisaient de plus en plus sous les coups de fusil, les montures s'écroulant tout à coup en un tourbillon de sabres, de casques, de sabots et de surculottes de cheval, et qui, réduits de moitié, disparaissaient en dévalant un fossé, ne laissant qu'un souvenir de croupes fumantes et de mottes de terres arrachés."


Au fil des nouvelles, de genre fantastique (on y croise fantômes, oupires et autres faits étranges), l'histoire de la Fédération se dessine au fil des nouvelles, ainsi qu'une explication à ce monde si semblable au nôtre qui paraît sorti d'un rêvé éveillé.


"Votre monde étant plus ouvert aux anomalies, aux étrangetés, il a fallu vous apprendre à composer avec les phantasmes, vous apprendre la prudence et la tolérance et ne pas affronter l’illégitime mais le taire. Les fantômes surgissent au moindre souffle de vent, un banal accident et vos héros donnent naissance à des doubles, les monstres sortent le jour, les morts se mettent à marcher, les nécromanciens sont puissants, le silence se rebelle. Combien de cris nocturnes on jalonné votre histoire? Ici, l'étrange naît spontanément, les contes de la nuit sont plus fréquents que ceux du jour."


C'est du fantastique très classique qu'Yves et Ada Rémy nous offrent là. Du fantastique comme on en écrivait au 19ème. Les thèmes abordés sont classiques aussi, beaucoup peuvent être retrouvés tels quels dans les manuels d'étude du fantastique. Que l'on ne prenne pas cela pour un manque d'originalité ! C'est justement ça qui est passionnant, d'arriver à jouer avec les codes d'un genre et d'en faire des récits dont on attend le dénouement avec autant de plaisir que l'on suit le fil de l'intrigue.


"Loosbeck est mort et ce ne sont pas les corneilles, ces oiseaux ordinairement de mauvais augure, ou les freux, qui lui rendront la vie. L'ombre se coule dans ses casemates crevées, se noie dans les magasins, bascule dans les corps de logis sous le vent aigre qui tourmente les toitures ruinées. Loosbeck, c'est l'ombre du passé, noire et frissonnante, c'est la nuit."


Le style des auteurs est habité par la grâce. Ils ont une finesse, une délicatesse dans l'écriture que je ne peux expliquer. Les phrases, les mots sonnent toujours juste. Ils sont égaux à eux-mêmes car cette impression se répète à chacune de mes lectures de leurs textes. Comment ne pas être conquis ?


Comme toujours dans les recueils de nouvelles, certains textes sortent du lot. Voici ma petite sélection : Suicide par imprudence ; Celui qui se faisait appeler Schaeffer ; Enfants perdus, perdus ; Verso d'ailleurs ; Chut mon lieutenant !


Lire la chronique sur mon blog

TiggerLilly
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Carnet de citations

Créée

le 21 nov. 2014

Critique lue 243 fois

1 j'aime

TiggerLilly

Écrit par

Critique lue 243 fois

1

D'autres avis sur Les Soldats de la mer

Les Soldats de la mer
boulaxx
9

Critique de Les Soldats de la mer par boulaxx

Et quoi de mieux que de vous laisser en citant Mr Yves Rémy lui-même « Aujourd’hui, ces histoires […] jettent une faible lumière sur une toile de fond commune, un univers flou, mystérieux, pourtant...

le 17 sept. 2015

1 j'aime

Les Soldats de la mer
Math_le_maudit
9

Un recueil merveilleux

J'ai découvert ce recueil et ses deux auteurs (Ada et Yves Rémy) complètement par hasard, par le biais d'un collègue qui m'a passé le bouquin avec ces simples mots : "tu devrais lire ça, je pense que...

le 11 févr. 2015

1 j'aime

Du même critique

Sacrée croissance
TiggerLilly
10

Penser la postcroissance

Ce documentaire explique clairement des choses que je pense depuis de longues années et que j'avais toujours du mal à exprimer clairement et sans braquer les gens lors de discussions. Le système...

le 5 nov. 2014

8 j'aime

Atlantis
TiggerLilly
3

Critique de Atlantis par TiggerLilly

L'auteur connait sans nul doute son sujet. Professeur à l'Université de Cambridge, sommité dans le monde de l'archéologie, il nous propose là un ouvrage riche en explications archéologiques,...

le 11 janv. 2011

8 j'aime

1

Des fleurs pour Algernon
TiggerLilly
10

Le labyrinthe de Charlie

Des fleurs pour Algernon est une oeuvre originale, poussée dans ses derniers retranchements par son auteur, récompensée par deux grands prix de la SF et défiant le passage du temps. Une oeuvre qui...

le 19 oct. 2010

8 j'aime