Un retour de sympathie impressionnant, dans ce récit : j'en ai passé les deux tiers à râler que je m'ennuyais à mourir et perdais du temps de lecture précieux à me taper ce pensum indigeste, mal fagoté, trop roboratif, pas du tout ingénieux, ni inventif, ni fantaisiste, bref, pénible. Je reconnaissais à Cercas une certaine qualité de langue, mais bon, quelle punition que cette accumulation de faits en chapelet, à peine amenés par une première partie autour d'un journaliste en mal d'écriture. Le point de vue biographique affleurait, mais donnait à peu près autant envie de connaître son auteur que d'aller prendre un pot avec Houellebecq. La grivoiserie en moins, mais la dépression latente identique. L'impression de se trainer un boulet de bagnard sur 200 pages. Enfin, on arrive au bout de l'histoire peu palpitante de Sánchez Mazas, un phalangiste historique qui se piquait de poésie. Comme les nazis aimaient la musique classique. Ces profils sont d'un déprimant achevé. Ce personnage-là a eu la vie sauve grâce à un soldat républicain qui ne l'a pas dénoncé quand tout le monde le recherchait, après une exécution ratée. Et Cercas part à la recherche de ce sauveur anonyme. Non sans épuiser auparavant les données biographiques du fasciste miraculé. Et ça, ça a bien failli me décourager complètement. Sauf que la 3ème partie vient rectifier cette impression désastreuse en introduisant enfin le véritable héros du récit, dans tous les sens du terme. Un engagé volontaire qui aura mené en tout huit ans de guerre avant qu'une mine ne mette fin à son errance libertaire. Un soldat inconnu, oublié, truculent et infiniment plus intéressant que le phalangiste maigrichon mû par la peur. Un combattant increvable, balloté par les événements mais branché sur une source intarissable d'idéalisme. Un peu désabusé, forcément, mais incapable de ne pas se battre contre la petitesse humaine. Un vrai bol d'air. Et le point de vue geignard du narrateur s'efface au profit d'une profonde affection, révélée par l'indifférence de tous envers cette poignée de champions de la liberté qui a empêché les ténèbres d'engloutir totalement le monde à maintes reprises. Le récit prend enfin sa véritable dimension, son envol, et se dote d'une épaisseur sentimentale qui contredit l'impression de sécheresse de la 2ème partie, épuisante. De quoi rattraper le coup, en somme. D'autant qu'un épilogue de 2015 vient couronner la narration par une réfléxion méritoire sur le roman, Hrabal à l'appui. Mais pareil, il commence mollement, avec des considérations personnelles un peu embrouillées, jusqu'à ce qu'une analyse plus percutante vienne emporter la mise. Des montagnes russes, donc, qui peuvent faire hésiter à entreprendre cette lecture...