J'ai aimé jusqu'à atteindre la folie. Ce que certains appellent folie mais qui est pour moi la seule façon d'aimer." Françoise Sagan
Nouvelle lecture de Pascal Quignard. Nouveau coup de coeur pour cet auteur hors du commun qui parvient toujours à allumer en moi un feu que peu de gens sont à même d'attiser. Il a cette capacité mystérieuse d'évoquer une chose sans la nommer vraiment. Il en dessine savamment les contours, comme une ombre sur un mur, il circonscrit cette notion, cette idée ou ce sentiment de telle sorte qu'il ne l'enclot pas dans la gangue du langage mais au contraire il permet de cette manière au lecteur de l'emplir de sa propre subjectivité.
C'est l'histoire de Claire (ou Marie-Claire pour être fidèle à son véritable nom) qui est en fin de compte un personnage assez flou au début du roman et qui petit à petit se dévoile à nous, non pas par elle-même mais à travers le regard des autres protagonistes. Il y a d'abord son frère Paul, être compliqué au possible, mais tellement simple comparé à sa soeur. Il y a Madame Ladon, professeur de piano, âme splendide si il en est, à la sensibilité aussi fragile qu'une bulle de savon. Il y a Jean, le prêtre, si frais et clairvoyant. Et puis il y a Simon. Simon et Claire, c'est un peu comme Roméo et Juliette. Ils s'aiment d'un amour trop fort, qui les consume, mais ils ne peuvent vivre cet amour. Cela les ronge jour après jour. Ils s'épient l'un l'autre, ils se cherchent, ils sont affamés l'un de l'autre de manière éperdue. Lorsqu'ils se frôlent, c'est comme une prière; lorsque leurs lèvres se rencontrent c'est un sacrement.
Quignard est l'un des mes auteurs contemporains favoris. Sa maîtrise du langage lui permet d'être toujours juste et vrai. Il n'y a jamais de fausses notes, de fioritures (surtout pas dans ce roman)ni d'actes forcés. Ce qu'il livre, ce sont des émotions brutes, viscérales. Lire un ouvrage de Quignard, c'est comme rouler dans une décapotable à pleine vitesse le vent vous singlant le visage; c'est comme sauter d'une falaise ou retrouver un être aimé. Le lire, c'est rencontrer la vie pure et simple: complexe, souvent dure, mystérieuse, pleine de surprise, de mélancolie et de beautés insoupçonnées. La manière dont Claire aime Simon est si palpable, si bien rendue que l'on en ressent une profonde tristesse et parfois un certain malaise. C'est une tragédie écrite sur un mode tellement nouveau que ce n'est pas cette impression qui est la plus marquante. C'est comme une présence en filigrane, discrète mais persistante, et qui finalement s'inscrit en vous comme une cicatrice.