Nul doute que Les Souffrances du jeune Werther a divisé, divise et divisera son lectorat jusqu'au bout ; il faut avouer que son romantisme exacerbé presque poussé au paroxysme (le suicide de Werther provoqué par la non réciprocité de son amour,ou plutôt par l'impossibilité pour Charlotte d'avouer un amour pourtant ressenti ?) provoquera des soupirs d'exaspération chez certains voir des incompréhensions.
Pour d'autres, comme moi, la beauté des lettres adressées à a son ami Wilhelm n'aura d'égal que ces moments de lucidité entre deux délires furieux d'amour, réflexions lancées sur la nature humaine encline à l'exercice de la passion, ses entraves et ses félicités ; mais aussi ces analyses brèves mais brillamment mises en formes sur les vicissitudes de l'être humain, sur une nature ambivalente, à la fois régénératrice et perpétuellement destructrice. Goethe, par le biais de son personnage, lance de multiples sentences au visage de son lecteur, souvent concises et tranchantes comme des lames de rasoir, parfois plus développées, plus étoffées pour mieux nous subjuguer, nous étourdir par un trait de plume absolument génial.
Le format du roman épistolaire correspond à merveille au propos du livre, permet de livrer pêle-mêle anecdotes (celles du servant amoureux par exemple) et réflexions sans trop appesantir l'action logiquement minimaliste du récit. La relation entre Charlotte et Werther mais aussi entre ce dernier et Albert, le mari de la jeune femme, sont ainsi exposées sans longueurs et sans qu'il ne paraisse manquer un seul élément nécessaire à la compréhension des sentiments de notre jeune romantique. La nature mélancolique et suicidaire de celui-ci est mise en place progressivement et lui-même nous la fait apparaître clairement à plusieurs reprises, parlant ouvertement de suicide à son ami Wilhelm dont on ignore les réponses, permettant là aussi à la narration de ne pas s'encombrer d'un trop grand étalage de sentiments, déjà présents à l'excès chez le jeune Werther.
Excès de sentiments, overdose peut-être pour certains, le romantisme du roman de Goethe sublimera les consciences des uns autant qu'il étouffera les esprits des autres, mais la forme adéquate adoptée par l'écrivain, la beauté du style et la finesse (la délicatesse même) du propos combleront les lecteurs les plus tolérants et les plus à même d'accueillir en leur sein pendant quelques heures les pensées couchées sur le papier d'un homme sans solution devant le problème de sa vie : ne pas pouvoir vivre son amour, l'amour de sa vie.