Après un recueil de nouvelles, L'antarctique, pas totalement convaincant, la longue "Short Story" de Claire Keegan, Les trois lumières, permet d'apprécier pleinement les qualités de cette auteure irlandaise. Son tour de force est de faire raconter l'histoire, qui est toute fragile et sensorielle, par la fillette qui l'a vécue, au point que le lecteur, quel que soit son âge, s'identifie à elle, ou, tout du moins, ressent, au plus profond de lui-même, les mêmes choses qu'elle et les comprend. Ce récit est une miniature, ciselée, qui, tout en étant d'une grande précision dans les faits, a un pouvoir de suggestion remarquable. Le cadre, celui de l'Irlande rurale, peut sembler familier, mais il est transformé par un été baigné de soleil (celui de 81, semble t-il, car la mort d'un gréviste de la faim de l'IRA est évoquée au détour d'une conversation), qui est comme au diapason d'une période heureuse que l'héroïne va vivre, une brève parenthèse loin d'une famille, la sienne, où l'on a visiblement pas le temps de s'occuper d'elle. Bienveillance, pudeur et tendresse sont quelques uns des mots qui viennent à l'esprit au moment d'évoquer Les trois lumières. A l'image du couple Kinsella, la nouvelliste a besoin de peu de mots pour exprimer des sentiments complexes et des chagrins que l'on tait. Page 75, elle fait dire à son personnage masculin : "Tu n'es pas obligée de dire quelques chose. Pense que la parole n'est une nécessité en aucune circonstance. Nombre de gens ont beaucoup perdu pour la seule raison qu'ils ont manqué une belle occasion de se taire." Pas la peine d'ajouter quoi que ce soit.