Classique parmi les classiques, Les Trois Mousquetaires incarne à la fois le panache français et son art romanesque, allant de rebondissements en rebondissements, de portraits hauts en couleurs en batailles, intrigues de coeurs et de cours, suivant les regards de d'Artagnan et de ses trois acolytes mousquetaires, mais aussi de Richelieu, de Louis XIII, de son épouse Anne d'Autriche, et d'autres personnages savoureux, comme la mystérieuse Milady.
Le talent d'Alexandre Dumas est indéniable : avec un style vif et élégant, ne lésinant jamais sur l'action et des scènes d'anthologies, il n'hésite pas à transformer l'histoire à des fins romanesques : entrevues et rivalités entres les puissants de l'époque, rivalité franco-britannique sur fond d'histoire sentimentale. Plus encore, il donne ses lettres de noblesse au genre de cape et d'épée : combats, duels, maîtresses éplorées, fraternité et fidélité; les codes du genre qu'il a quasiment à lui seul institués sont présents. Il brille par sa capacité à rendre vraisemblable l'invraisemblable, utilisant un vocabulaire et des références du 17ième siècle sans pour autant perdre le lecteur dans des explications historiques et une langue difficile. C'est fluide, naturel, simple. Plus encore, il ne manque pas d'humour, remplissant les lignes de sous-entendus, de propos ironiques voire potaches. Il n'hésite pas non plus à intervenir lui-même dans son récit, apostrophant, guidant d'une main sûre le lecteur à la moindre occasion. Il en résulte un récit savoureux et vivant, un livre qui se lit très bien et vite, malgré sa relative longueur (plus de 700 pages en poche).
Il y a à la fois quelque chose de Cyrano dans ce livre, dans ce panache permanent, fait de belles phrases et de confrontations élégantes, un sens du suspens très moderne, où les dialogues et les phases d'actions occupent une large place, loin des longs commentaires et des descriptions interminables qui, quand elles ont lieu, servent à souligner des détails savoureux ou renforcent la plausibilité du récit. Il faut dire que le livre, dans sa forme originelle était composé d'épisodes apparaissant en feuilleton dans le journal Le Siècle. Il fallait donc relancer l'intérêt du lecteur en permanence, sans le perdre pour autant dans de vaines et stériles apartés. On retrouve ce style particulier du feuilleton dans Bel-Ami de Maupassant par exemple.
Mais le roman dépasse l'anecdote, il est devenu un mythe, un livre culte, un classique, faisant l'objet de diverses adaptations et suites, comme Le Vicomte de Bragelonne qui met en scène les mêmes personnages des années plus tard. On connait tous l'histoire des trois mousquetaires, qui participe bien entendu au roman national et dépoussière une époque romanesque, magnifique, pleine de bravoure et d'honneur.
Enfin, le coup de maître revient à Richelieu, personnage central du livre, qui fait de l'ombre même aux mousquetaires, personnage à la fois sombre et mystérieux, brillant et comploteur. "En attendant, il jeta les yeux sur cette malheureuse ville, qui renfermait tant de misère profonde et tant d'héroïques vertus, et, se rappelant le mot de Louis XI, son prédécesseur politique, comme lui-même prédécesseur de Robespierre, il murmura cette maxime du compère Tristant : "Diviser pour régner." Dumas n'oublie pas l'esprit français : les frasques de Portos, Athos, ce buveur invétéré, Aramis, pieux et noble tout à la fois, d'Artagnan, fougueux, jeune, brillant. Ce roman est latin, baroque et élégant.
On pourra toujours reprocher à Dumas son utilisation abusive de collaborateurs qu'il ne cite jamais pour l'aider à écrire ses livres, mais lorsque l'on voit la remarquable cohérence de ce livre, sur le fond et sur la forme, la finesse du récit, son humour, son panache, on ne peut que sourire, satisfait, en le refermant, au terme d'une lecture épique et magistrale. Ils ont existé, la vraie histoire s'est passée comme ça se dit-on, et même si c'est faux, on se prend à y croire.