Je l'avoue, je m'y suis pris à deux fois pour ce livre... La première fois j'ai arrêté au bout de 50 pages en me disant..." What the...?" Comme vous le devinez, l'immersion dans ce roman n'est pas forcément une sinécure. La faute sans doute au génie particulier de Virginia Woolf, à sa capacité de tisser à partir du réel une toile diaphane , impalpable et pourtant impérieuse, composée de souvenirs, de sensations, de réflexions existentielles . Son roman nous raconte la vie de six personnes, de l'enfance à la vieillesse, mais en mélangeant aléatoirement les narrateurs. Accrochez-vous.
L'écriture dans "The Waves" est ainsi un kaléidoscope d'émotions et sentiments ,où chaque rotation de la lentille amène un nouveau point de vue, une nouvelle histoire. Au début, il y a de quoi être désorienté: qui parle là? quand parle-ton et de quoi parle-ton au juste? Lorsque j'ai recommencé la lecture à zéro, plus prudemment cette fois, les éléments du puzzle se sont heureusement bien mieux agencés et j'ai pu suivre l'aventure de ces ami(e)s qui vont découvrir ensemble la vie, l'amour et la mort.
Le jeu classique du " flot de conscience" est ici rendu complexe par le fait que Woolf fait alterner les récits de ses personnages sans opérer de coupure dans le flot des paroles. On passe d'une conscience à l'autre sans transition. Du coup un moment particulier de la vie est raconté de manière différente, sous des angles différents, selon le point de vue du narrateur ou narratrice. Chaque scène est un peu un miroir brisé, où chaque morceau révèle un reflet décalé de la réalité.
La forme très travaillée du roman ne distrait pas des personnages, une bande de gamins que l'on rencontre lorsqu'ils courent au bord de la mer ou jouent dans un jardin, quand ils ne suivent pas les cours de leur préceptrice. Chacun nous racontera son histoire particulière , non sans commenter souvent celle de de ses amis: Bernard est l'écrivain. Il souhaite étudier la vie des autres, en faire des phrases. Sa grande qualité et son grand malheur est de ne pouvoir vivre sans les autres, sans les histoires. Jinny, elle, papillonne et rêve de danse et de romance et se transformera en chasseresse hédoniste, Neville est le véritable intello de la bande, le "scholar" de Oxford, pris de passion pour un autre homme. Louis est le petit outsider, dont le père est un banquier australien et, qui recherchera le succès dans ce Londres où son accent le fait remarquer. Rose porte bien son nom, elle qui n'a de passion que pour la Nature et la vie simple des plantes et des êtres. Enfin Rhoda, qui suit tout ce petit monde, sans en faire véritablement partie, passera une partie de sa vie à rêver d'idéaux, de voyages, avant de connaitre un destin tragique.
Au milieu de ce groupe qui se croise et se rencontre au cours des années plane la présence légendaire d'un Perceval, au nom héroïque, personnage absent mais central et toujours évoqué dont le destin aventureux semble assurer la cohésion du groupe et du récit. Entre eux tous, des liens amoureux existent qui résistent ou non au temps ...
Le roman tire son nom de l'inter-texte qui encapsule en italique les grandes étapes de la vie de nos personnages. Woolf y décrit les jeux de lumières que créent le soleil levant, le soleil au zénith et enfin le soleil couchant sur des vagues qui répètent leur inlassable destinée bruissante, un fond immuable pour des vies éphémères, peut-être.
J'ai moins aimé que "Vers le phare", (voir ma critique) mais je reste bluffé par l'écriture, l'audace et la sensibilité présentes dans ce beau roman. Recommandé bien sûr, guys et guysettes!!