Les Vagues
8.2
Les Vagues

livre de Virginia Woolf (1931)

Une lecture à rendre obligatoire pour tout écrivain ...

Étrange situation qui m’oblige à noter 9 un livre que je n’ai pourtant pas aimé !
Pourquoi 9? Parce que V . Woolf atteint ici des sommets de profondeur quant à la réflexion littéraire. Sa remise en cause notamment du personnage et du récit classique est magistrale et a pour conséquence un profond changement dans l’utilisation du langage. " Je commence à rêver d’un langage naïf comme celui qu’emploient les amants, de mots sans suite, de mots inarticulés , pareils au bruit des pas traînant sur le pavé »*(p 233 biblio poche) L’auteur a la volonté prométhéenne de donner au roman la faculté de rendre la vie dans sa complexité, et la vie, ce n’est pas une histoire. La vie «  n’est pas un objet solide, un globe que nous pouvons faire tourner sous nos doigts. » p. 344mais elle est bien plutôt «  un courant sans cesse interrompu de rêves, de chansons, d’enfants, de cris de la rue, de phrases inachevées, de soupirs, se reforme sans cesse dans les profondeurs »p.248 . Or la plupart du temps, pour enserrer la vie, la littérature est obligée de l’appauvrir , de séquencer dans son laboratoire narratif une linéarité et une unicité certes rassurantes mais bien éloignées de la réalité de toute vie humaine. Cette approche arrive à nous donner par touches impressionnistes des beautés étonnantes, en particulier dans les descriptions des paysages qui ponctuent les différentes étapes du livre.
Alors pourquoi ne pas aimer ce qui est si puissant, si abouti?
Cette vie ainsi rendue, à travers les monologues de différents personnages, tombe dans un chaos, un flux ininterrompu de notations dont la minutie tatillonne et myope fatigue, énerve, englue. La beauté de la langue ( la traductrice est Marguerite Yourcenar...) n’existe que pour suggérer l’impossibilité du dire «  Mais comment décrire un monde d’où le moi est absent? Les mots manquent. » écrit Virginia à travers le monologue de son personnage Bernard. Certaines pages interminables rendent bien la vie mais une vie organique, éclatée, où chaque détail longuement développé rend la conscience de la vie impossible. Une vie appréhendée uniquement par les sens, jamais par la raison, jamais dans la maîtrise. Un exemple parmi tant d’autres : «  Derrière les arbres le fond d’or du ciel s’est fané. Une bande verte s’étale tout au fond, longue comme la lame d’un couteau qu’on voit en rêve, ou comme une île effilée où n’abordera jamais personne. Les phares des automobiles commencent à cligner dans l’avenue. Les amants peuvent désormais se perdre dans l’obscurité : le creux des arbres est obscène, et gonflé par la présence des couples. » (p. 211)
Quelle souffrance d’être ainsi soumis à la réalité ; souffrance pour l’auteur, certainement, mais aussi pour le lecteur qui se trouve privé de toute possibilité de compréhension rationnelle. La volonté de mettre à mal ce côté rationaliste réducteur du rapport au réel rend pourtant ce dernier insupportable...et le livre se termine dans un combat perdu d’avance avec la vie mais aussi avec la mort.
Tout le livre baigne dans une lumière crépusculaire qui le rend grand mais insupportable !
On ne peut qu’admirer, mais pour moi sans aimer...

jaklin
9
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le 8 août 2018

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jaklin

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