Avec Les Vagues, Virginia Woolf souhaitait écrire quelque chose de différent, "saisir sa vision", retranscrire de la perception et mettre des mots sur des éléments (appelons les comme ça faute d'un vocabulaire adéquat à exprimer ce qui est indicible) que l'on ne peut pas appréhender par la force des mots. Il faudrait "le langage des amants" pour citer l'un des personnages.
Faute de mieux, l'auteure anglaise prend le parti d'un roman qui touche plus à la poésie (play poem) et se complait dans l'abstrait quitte à laisser des lecteurs de côté. Pas pour longtemps toutefois tant le souffle magnifique de la prose de V. Woolf approche les cimes de la littérature, et ce même traduit. On voit rarement une telle écriture, fine, élégante, profonde, dont la palette tient davantage de celle du peintre que de celle du romancier, avec des nuances délicates et une sonorité qui donne envie de lire chaque phrase à voix haute.
Les Vagues se déclame, chaque mot semble avoir été choisi, placer sans aucun hasard et avec une harmonie qui dorlote le cœur du lecteur. C'est beau tout simplement ; il y a du Proust dans le style et dans l'approche artistique, consistant à saisir les émotions, les ressentis, à les travailler en profondeur plutôt qu'à faire de banales descriptions ou retranscriptions.
C'est beau mais c'est triste. Le ton est mélancolique, parfois franchement déprimant. Woolf fait parler six personnages, pleurant la mort d'un septième, à plusieurs moments de leur vie, de l'enfance à l'âge adulte.
Et tout est mélancolique dans cette œuvre où les individus ne se sentent plus comme individualité mais conditionnés par le regard des autres ; on se dérobe dés que l'autre est là, on joue un rôle, on regrette en comparant. Plus rien n'est vrai... si ce n'est ce que l'on ressent.
Tous sont différents : de Susan qui mène une vie bien rangée de labeur à Jinny plus délurée et volage en passant par Rhoda plus solitaire ; de Neville le cultivé à Louis à l'accent australien en passant par Bernard qui raconte des histoires.
Mais tous sont reliés par ce sentiment de vide tel un océan qui semble infini dont les vagues nous renvoient à notre statut d'être humain qui n'a rien d’inexorable contrairement à cette force de la nature.
Ils essaient de raconter ce qu'ils ressentent, de l'imager, de donner une constitution à des sentiments qui vont plus loin que l'amour ou que la haine. Virginia Woolf nous perd un peu parfois, notamment en milieu de récit après ce formidable développement de l'enfance, le lecteur s’égarant dans une abstraction de laquelle il ne peut plus s'extraire, la branche du style et l’artistique ne suffisant plus ; avant de rattraper son lecteur dans une fin dramatiquement belle, poignante.
Il est compliqué de parler de ce livre, de l'expliquer, de justifier son avis car il s'agit vraiment d'un roman à part, principalement dans sa démarche. Il peut-être abscons mais il n'est jamais repoussant et délivre les plus beaux moments de littérature toutes époques confondues. Il s'en dégage une force incroyable, parfois négative et ténébreuse, mais souvent attirante et éclairante (paradoxalement).
Comme un phare au milieu des vagues.