Ces lettres sont l’aveu d’un mal-être évident. Kafka ne voyait pas dans le mariage un engagement sur le long terme tant sentimentalement que financièrement. Pour lui, c’était un changement de paradigme mental. C’était passé d’un univers métaphysique à un autre. Dit comme ça, ça a l’air compliqué. Mais en fait, c’est assez simple à comprendre.
Le mariage marquait la fin de sa situation de parasite. Kafka s’est vécu et senti comme un parasite au sein de sa propre famille, notamment à cause du harcèlement de son père et de sa maladie qu’il n’a jamais vraiment voulu complètement soigner. Parce qu’il n’avait aucune confiance en lui et que personne ne l’écoutait, il a choisi la littérature comme moyen d’expression. Pour lui, l’artiste est aussi un parasite pour la société, car il ne produit rien d’utile. Donc le fait de devenir écrivain s’inscrivait dans une continuité malsaine selon lui entre sa vie de famille et sa vie de célibataire.
Le mariage vient briser ce cycle. Le mariage, c’est passer de la littérature à la vraie vie. C’est changer de monde et de rapport au monde. Le mariage marque l’entrée dans une vie active et utile où la littérature n’a pas sa place.
Donc ces lettres ont un aspect tragique. On voit comment Kafka hésite entre l’écriture qui le ronge et la femme qu’il aime. D’un côté, il a peur de quitter le monde du rêve, la littérature qui le protège mais le tue. De l’autre, il n’ose sauter le pas et de s’engager. A ce titre, les descriptions des longs délais d’attente des lettres de Felice qui sont vécus comme une torture par Franz sont très poignantes.
Très concrètement, on suit pendant des dizaines de pages les échanges privés d’un homme qui n’a aucune confiance en lui et qui ne parvient pas à trouver la force de s’engager pour fonder une famille, car il a été traumatisé par sa maladie et son père tout au long de son enfance. Il aura préféré une longue agonie à une longue vie. Mais, mes sentiments sont partagés, car si Kafka avait eu plus confiance en lui alors il n’aurait sans rien écrit. Ou peu-être pas… Il est impossible de répondre à cette question.
Ce texte est déroutant, car il me confronte à mon égoïsme lorsque je lis Kafka. Je tire du plaisir de sentir à quel point cet homme a souffert. Mais, c’était aussi sa décision et il était un adulte qui avait conscience de ces choix.
Je suppose qu’en apprenant qu’il est mort si jeune et sans que personne n’ai pu l’aider me donne juste le sentiment d’un profond gâchis.