Confiance et patience : porter jusqu'au terme, puis enfanter : tout est là.
* Lettres écrites par Rilke entre 1903 et 1908 à Franz-Xavier Kappus, poète d'une vingtaine d'années. Extraites de sa correspondance, elles sont publiées à part en 1929. Kappus cherche sa voie, demande à Rilke de juger ses poèmes. Rilke s'improvise guide spirituel, avec un tact et une maturité remarquables. En dix lettres, il transmet sa conception de l'art, indissociable de sa propre vie. En poète et en artiste, il analyse l'œuvre de création.
Lire ces lettres, d'une haute portée morale et philosophique, permet de mieux comprendre la poésie rilkéenne. L'essence de ses idées s'y concentre. Entrons au cœur du volcan Rainer Maria :
1. "Les choses ne sont pas toutes à prendre ou à dire, comme on voudrait nous le faire croire. Presque tout ce qui arrive est inexprimable et s'accomplit dans une région que jamais parole n'a foulée."
2. "Mourriez-vous s'il vous était défendu d'écrire ? (...) alors construisez votre vie selon cette nécessité."
3. "Une œuvre d'art est bonne quand elle est née d'une nécessité."
4. "Si l'art vous appelle, prenez ce destin, portez-le, avec son poids et sa grandeur, sans jamais exiger une récompense qui pourrait venir du dehors. Car le créateur doit être tout un univers pour lui-même, tout trouver en lui-même et dans cette part de la Nature à laquelle il s'est joint."
5. "Lisez le moins possible d'ouvrages critiques ou esthétiques. Ce sont, ou bien des produits de l'esprit de chapelle, pétrifiés, privés de sens dans leur durcissement sans vie, ou bien d'habiles jeux verbaux ; un jour une opinion y fait loi, un autre jour c'est l'opinion contraire. Les œuvres d'art sont d'une infinie solitude ; rien n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour peut les saisir, les garder, être juste envers elles."
6. "Laissez à vos jugements leur développement propre, silencieux. Ne le contrariez pas car, comme tout progrès, il doit venir du plus profond de votre être et ne peut souffrir ni pression, ni hâte. Porter jusqu'au terme, puis enfanter. Tout est là."
7. "Le temps ici n'est pas une mesure. Un an ne compte pas, dix ans ne sont rien (...) L'été vient. Mais il ne vient que pour ceux qui savent attendre, aussi tranquilles et ouverts que s'ils avaient l'éternité pour eux. Je l'apprends tous les jours au prix de souffrances que je bénis : patience est tout."