« Et là, Anita m’a taillé une pipe » (ou quelque chose d’approchant). Voilà le type d’anecdotes auquel on a droit dans le « Life » du roi Keith Richards. Ehonté, cynique, scabreux, et rock’n roll.
D’abord, les quelques ombres au tableau : Keith se donne le beau rôle, sans doute trop. Et il taille dans le lard. Mais ça ne m’a frappé que vers la page 500, buvant son discours subjectif comme du petit lait.
Tout le monde y passe : Brian a commencé à se comporter comme une merde, Anita était imbuvable, Mick était imbuvable, Bill (Wyman) collectionnait les groupies et les notaient dans un petit carnet. Il demandait à Mick : « Dis, t’en a baisé combien ? » ; Mick Taylor ne s’est pas intégré, je crois qu’il ne voulait pas s’intégrer. Ronnie buvait comme un trou le matin, moi ça allait je pouvais boire un verre, mais lui il était à la tequila au petit-déjeuner. Untel est taré. Untel est une grosse salope. John était cinglé. Lennon ne tenait pas la marée, mais je l’aimais beaucoup (ouf !). Mick était très sensible à la flagornerie. Pas moi. On me disait "vous êtes génial", et je savais que ce n'était pas vrai (mais oui...). Je n’ai jamais été avec une groupie pour la baise, je préférais encore me branler (ok). Il en démonte du monde le « keys », il se lâche, règle des vieux comptes, clarifie un certain nombre de points, ressort des vieux secrets, des tromperies, des saloperies, des supercheries, des orgies - auxquelles il n’a évidemment pas participé, ou qu’il a malencontreusement oublié.
Vous en connaissez beaucoup, vous, des mecs, même célèbres, qui oublieraient des parties de jambes en l’air avec quelques bunnies dans la maison de Hugh Hefner ?
Bref, une chose est certaine, le roi « Mick » en prend plein la gueule, mais heureusement, Keith contrebalance ce taillage dans le dos, ce foutage de gueule en règle par une démonstration aisée et ostentatoire d’une amitié rock indéfectible (« on est potes à la mort » dit-il), d’amour sincère de Sir Jagger, qui a un moment donné s’est envolé pour « Jetsetland » alors que le « Keys » a sombré vers « Dopeland » (et puis « Copland » (mais pas celui de Mangold) aussi, tant sa vie a été remplie de la présence des « pigs » et flics de tous poils.), ce qui a un peu plus contribué à creuser le fossé entre les deux lascars.
Mais bon, le livre reste extra, plein de force, d’optimisme, de résistance aux drames et aux cadavres puants qui jonchent le chemin du gratteux (« je déteste la tristesse, les pleurs, toute cette merde », en précisant qu’au décès de proches (celle de Gram Parsons et de son fils Tara), il préfère oublier tout de suite, de manière plutôt réaliste (« on ne peut rien faire de toute façon »), et réagit en allant trouver une fille à Munich ou en faisant quand même un concert.
Si l’on connaît un peu l’histoire des Stones, leur discographie (c’est mon cas), on sait, à mesure que l’on tourne les pages, que l’on va bientôt arriver à tel ou tel moment anecdotique, historique, épique.
Mais c’est avant tout un amoureux de la musique qui parle, un passionné qui raconte comment il compose, sa complémentarité d'une incroyable efficacité avec Jagger, les grandes amitiés musicales avec Gram, Bobby Keys, Ronnie Wood, ou encore Sly Dunbar et Robbie Shakespeare.
Un mélomane, érudit, fanatique et même esclave du blues (sans jeu de mot délibéré de ma part), un vétéran, un rocker, un connaisseur, un travailleur et aussi un formidable raconteur. On m’a dit que c’était bien écrit. Je n’irai pas jusque-là. Je pense que c’est juste « écrit », et à l’inverse, écrit « justement ». C’est le fond qui compte ici, la substance, pas la forme. Ce qui est narré est « vécu », et ça suffit amplement pour le raconter. Le style littéraire importe peu, on s'en fout du lyrisme, de la richesse lexicale, de la grande maîtrise formelle à la Céline, on ne demande pas ça à Keith qui sait déjà composer des chansons, c'est amplement suffisant.
Je pourrai lister des tonnes d’anecdotes croustillantes, mais non, c’est un livre passionnant, une autobiographie qui recèle bon nombre de moments forts qui prennent leur sens dans une histoire racontée chronologiquement (à l’exception du début de l’œuvre), et non un étalage de faits sensationnalistes. Il n'empêche, bons nombres de faits relatés dans cette oeuvre ont été suivis et affichés publiquement par la presse (à scandale, ou pas), qui a "reniflé" les Stones depuis leurs débuts.
Et vous savez quoi, pour répondre au mieux à ce « Life » qui le descend de haut en bas, Mick Jagger va écrire aussi son autobiographie, il paraît qu’elle s’intitulera "Apportez-moi la tête de Keith Richards."