Ce qui fait kiffer Keith, hé !
Malgré quelques défauts évidents, ce "Life" est un gros moment de plaisir.
Ce qui transpire le long de ces 640 pages, c'est une grande sincérité et une immense simplicité.
Au delà des anecdotes, nombreuses, croustillantes, éclairantes, délirantes, l'ami Keith (oui, parce que c'est un pote maintenant que je viens de finir sa vie...m'fin son livre) nous donne vraiment les clefs de ce qu'il est, de ce qui le guide, le motive, le fait tripper.
Des phrases du type de "Si j'avais fait mon service, je serais probablement général aujourd'hui. On arrête pas un primate. Quand j'y vais, j'y vais à fond. Chez les scouts, je suis devenu chef de patrouille en trois mois. De toute évidence, j'aime bien donner des ordres. Confiez-moi un détachement, je ferai du bon boulot. Avec une compagnie, je ferai encore mieux. Et avec une division, je ferai des merveilles. J'aime motiver des types, et c'est assez bien tombé avec les Stones. Je suis vraiment doué pour faire se serrer les coudes à une bande de mecs." sont superbement explicite sur sa façon de bosser en groupe, moteur absolu de sa vie.
De même, trouver la réponse définitive à une question qui revient sur le devant à chaque fois qu'on évoque les Stones depuis... quoi, 89 ? est assez jouissif: "On me demande souvent: "pourquoi tu t'arrêtes pas ?" Je prendrai ma retraite quand j'aurai cassé ma pipe. Je crois qu'ils ne calculent pas vraiment ce que la musique représente pour moi. Je ne fais pas ça pour l'argent, ni pour vous. Je fais ça pour moi."
Point barre. Ceux qui ne voudront pas comprendre ça ne comprendront jamais Keith et ses vieilles pierres qui roulent. (il regrette en fin d'ouvrage, d'ailleurs, que le genre de reproche dont il est question ici ne s'applique que pour les blancs. Qu'un vieux bluesman ou jazzman joue encore à 90 berges et tout le monde de s'extasier, mais pas pour lui et sa bande. Bon, on ajustera juste le propos en faisant remarquer que la taille de la salle ou l'artiste se produit joue un peu en sa défaveur sur le sujet).
Mais la sincérité permet également d'évoquer des choses qui ont longtemps collé à la réputation des Stones en expliquant simplement et en désacralisant: que ce soit Mick Jones (dont très vite on sent qu'il ne l'a plus supporté), le sang transfusé, la dope, ses relations avec Mick (avec qui il peut être à la fois tendre où complètement vachard, le vieux couple, quoi...) les cendres du père, le cocotier, tout passe en revue d'un point de vue assez terre-à-terre, quitte a tordre le cou à la légende, et ça fait du bien.
Le peu de mots qu'il a pour Bill Wyman nous donne un bon aperçu de la considération qu'il a pour son ancien bassiste et c'est finalement assez amusant.
Alors oui, on pourra reprocher au bouquin d'être assez flou quant à l'orde chronologique, quant à la précision des souvenirs, parfois, quand à ceci ou à cela mais oh ! Merde ! Le garçon a passé 30 ans sous drogue dure donc bon, on peut être un tant soit peu magnanime: plus précis et on y aurait de toutes façons pas cru !
De même pour le style: Keith n'est pas écrivain (sauf de paroles de chansons, mais c'est un autre talent) et son co-auteur a fait des efforts pour retranscrire le langage parlé qui fait parfois pas totalement mouche. on peut d'ailleurs s'interroger sur la talent du traducteur: ceci n'a de toutes façons pas dû être un travail si facile.
Enfin, et je terminerai sur ce point: de nombreux passages sont, d'un point de vue purement musical, de purs moments de délices, et c'est quand même bien là l'essentiel: la description et la totale confession de Keith au sujet de son passage à la technique de l'"Open Tunning" reste un moment d'anthologie, même pour un néophyte de guitare comme je le suis (je n'ai fait que taper sur des peaux, désolé). Expliquer pourquoi 95% des grateux ne peuvent retrouver tout à fait le son Stones d'après 1969 est à la fois superbe et courageux. Une partie du mystère Stones s'évapore, mais par un pan technique. Pour la majorité des béotiens que nous sommes, la magie reste intacte !
Jouissif, instructif, passionant: un (gros) bout du 20ème siècle musical vient de nous passer sous les yeux.
Je vais me remettre un Stones dans la platine les gars.
Oui oui, un disque. Physique.
Sur lequel on peut mettre la main.
Je sais.