Locus solus
7.6
Locus solus

livre de Raymond Roussel (1914)

Alors que l'influence de Raymond Roussel fut prépondérante sur la littérature du XX° siècle, à commencer par le surréalisme ou le Nouveau Roman, son nom reste relativement dans l'ombre, et son œuvre assez peu lue. Pour ma part, c'est par Georges Perec que je découvris Raymond Roussel, qu'il considérait comme une de ses principales références. L’œuvre de Roussel repose en effet sur l'emploi de contraintes formelles fondées sur des jeux de mots, des calembours, des anagrammes..., bref sur un jeu sur la matière même du langage. Ces procédés, que l'auteur détaille dans Comment j'ai écrit certains de mes livres, ne transparaissent pas à la lecture, mais constituent une sorte d'armature pour le récit, le moteur d'une formidable machine narrative.


Le style est plutôt aisé, agréable, avec une pointe d'ironie et de distance (à l'exception des indigestes descriptions techniques ! ). Contrairement à ce que je pensais a priori, ce n'est en fait pas du fait de son style que Roussel est peu lu, mais plutôt car ses inventions, ses images, décontenancent, laissent tantôt perplexe, tantôt émerveillé. Pourtant, au fond, Locus Solus renoue avec une esthétique traditionnelle, qui n'est pas sans rappeler les Mille et Une Nuits : Roussel est avant tout un formidable raconteur d'histoires et un inventeur fabuleux.


A l'image du petit groupe d'amis à qui Martial Canterel, scientifique de renom, montre ses récentes inventions, le lecteur découvre, l'une après l'autre, les non moins incroyables artefacts de l'auteur. Ainsi Locus Solus révèle une vision particulière du rôle de l'écrivain : il n'y a ici qu'un pas entre l'inventeur et l'homme de lettres, et les créations des deux s'avèrent également vaines et artificielles, en même temps qu'elles suscitent l'émerveillement. Toutes deux reposent en effet sur une sorte de dénaturation : quand l'un parvient à faire respirer des êtres humains sous l'eau, ou à ressusciter sur commande des cadavres, l'autre fabrique des procédés qui contraignent, artificialisent, automatisent presque, la création littéraire.


Véritable prouesse technique, Locus Solus est donc un livre souvent étrange, enthousiasmant par moments, indigeste à d'autres (heureusement plus rares !), en tout cas d'une profonde originalité. La filiation avec Georges Perec est évidente, autant dans le goût pour la contrainte que dans celui pour le romanesque, mais celui-ci saura, dans la Vie mode d'emploi, nous faire voir ses inventions d'une manière à la fois moins formelle, plus aboutie et plus touchante.

Behuliphruen
7
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le 8 juil. 2015

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Behuliphruen

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