Ca y est. Terminé. J'ai hier tourné une page, débouchant sur une page blanche, c'était la dernière. Conscient de ce lent processus inéluctable, je me suis contraint à ne lire que quelques pages chaque jour. Savourer ces passages jouissifs, envoûtants, percutants, magnifiques. « Loin de Chandigarh » est un roman exceptionnel, comme je n'en croise que tous les trois, quatre ans. Ce type d'ouvrage qui te secoue cœur, esprit et tripes, pour en ressortir à la fois baigné d'une espèce de plénitude, celle d'avoir vécu une « expérience », mais aussi d'une certaine tristesse, celle d'être orphelin d'une présence aujourd'hui rangée dans sur cette étagère.

Couverture refermée. Il faut laisser reposer.

Je n'avais plus eu ces sensations depuis « 100 ans de solitude », pourtant autrement plus exigeant dans la concentration et dans sa démesure, typiquement sud américaine. Ici, aucune prise de tête, de fioritures linguistiques alambiquées, l'écriture laisse oublier sa réelle beauté, pour un style incisif, ravageur, furieusement moderne. Tarun J Tejpal, réalise un coup de maître qui s'ignore.

L'histoire ? Un emboîtement de destinées pourvu d'une architecture limpide, avec pour terrain de jeu l'Inde. L'Inde moderne, bien loin des clichés occidentaux faciles, d'épice et de cinéma boolywoodien. C'est ici l'Inde des contradictions et des paradoxes, des traditions et du progrès, de l'héritage de l'indépendance, des aléas de la démocratie dans un peuple encore pétri de coutumes six fois millénaires, des villes fourmilières pressées face aux campagnes inamovibles... Avec en surcouche cette vision du monde tellement autre que la nôtre. On est en tant qu'occidental remué par quelques piques de bon sens.

Autant de mondes que de regards.

A travers ses personnages, l'auteur fustige l'américanisation de son peuple, tempère par un autre protagoniste, repart à l'assaut armé du jouet suivant de sa narration. Il dissèque un pays continent d'une complexité effarante, relevant aujourd'hui le défi de la modernité... Ce roman pue l'Inde, le verbe « puer » dans ma bouche n'ayant rien de péjoratif. Ca te submerge et te laisse songeur, sans jamais te sentir mal, juste décalé, autre.

Dans ce décor démesuré, s'enchevêtre l'histoire de l'amour fou, très charnel, d'un couple d'indiens « occidentalisés », déstabilisé par une découverte en retapant une maison sur les contreforts de l'Himalaya. Celle des carnets d'une américaine, précédente propriétaire, qui retrace l'histoire de sa vie...

Le récit, bien que passionnant, n'est presque qu'accessoire. S'il fallait faire un résumé strict des 350 premières pages, il ne se passe rien de concret... Qu'importe, cette accumulation de détails, de retours en arrière, et de verve du narrateur transporte le lecteur dans une bulle d'ailleurs, dépaysante, douce et corrosive à la fois... Tous les personnages secondaires sont hauts en couleurs, ont chacun une leçon passive à nous apprendre sur la nature humaine. Quand l'histoire démarre enfin, c'est presque trop tôt, on a peur de voir le récit se perdre dans une intrigue quelconque... Erreur. On est transporté dans un tourbillon de désir et d'amour fou, dément, la notion de sentiment même étant le noeud de l'intrigue qui cimente le tout. Car si le titre français est « Loin de Chandigarh », le titre original est « The Alchemy of desire ». Les deux sont complémentaires.

Je pourrais vous parler des heures de ce livre. Je suis, comme un vampire de sensations cherchant à revivre par leur pâle description les émois ressentis à la lecture. Laissez moi juste vous dire que moi, le champion malgré lui de la lecture en diagonale, quasi verticale, capable de s'avaler 4 livres d'affilée en une journée pour suivre une intrigue haletante, j'ai ici retrouvé un plaisir fou à savourer le verbe. Chaque ligne, chaque mot évocateur, monument de plaisir. Vous ne trouverez pas dans ce livre de philosophie existentielle déclarée. Vous y apporterez un peu de vous-même eu départ, le reprendrez à la fin de la lecture, et vous serez incontestablement enrichi par ce voyage.

J'arrête ici. Si vous ne devez retenir qu'une chose : Lisez « Loin de Chandigarh », de Tarun J Tejpal. Je vous garantis un plaisir unique. Le seul problème de ce livre, c'est qu'il a une fin.
Hypérion
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Le verbe qui m'émeut..., Livres que je relis régulièrement, Livres critiqués notés 10, 5 livres pour donner à Before-Sunrise le goût de la lecture et

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le 25 oct. 2011

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Hypérion

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