« Lolita, lumière de ma vie, feu de mes reins. Mon péché, mon âme. Lo-lii-ta : le bout de la langue fait trois petits pas le long du palais pour taper, à trois reprises, contre les dents. Lo. Lii. Ta.
Le matin, elle était Lo, simplement Lo, avec son mètre quarante-six et son unique chaussette. Elle était Lola en pantalon. Elle était Dolly à l'école. Elle était Dolorès sur les pointillés. Mais dans mes bras, elle était toujours Lolita. »
— Vladimir Nabokov, Lolita, I, 1.
Ce passage doit être ce qui m'a été donné de plus beau à lire, à entendre, à voir. Comment dissocier la prose de Nabokov de celle d'Humbert, ce nympholepte éperdument amoureux de sa Lolita ? Je ne peux qu'aborder ce roman que sous deux angles : celui de l'histoire, des personnages, et celui de l'écriture. Commençons par le premier, qui devrait éclairer le deuxième, l'inverse étant également vrai.
L'écriture est esthétique, un régal. La plume d'Humbert, de Nabokov, est agile et poétique. Elle manie les mots comme un peintre manierait le pinceau pour décrire non pas les décors, cela n'a que peu d'intérêt. La sensualité de Lolita, toutes ses caractéristiques, toutes les choses sans noms, Humbert nous en gratifie la vision en en définissant les contours par magie pure, si bien que sa Lolita est notre Lolita, cet enfant chéri. Je ne trouve pas les mots devant l'excellence et l'exactitude de la prose. Humbert joue avec le lecteur, utilisant tout le vocabulaire connu, diablement efficace car employé au bon moment, à la bonne occasion, tout en n'usant jamais de vulgarités, non, Humbert n'est pas de ce genre. Les pires horreurs sont décrites avec poésie, avec volupté. Le dégoût se mêlant à la beauté. Humbert joue avec son lecteur, pris dans sa névrose, change les noms, en glissant toujours une référence ténue ou visible à un livre, une pièce de théâtre, parodiant, psalmodiant, abusant des jeux de mots. Lire Humbert Humbert est un régal, il se joue de nous avec sa poésie pour nous transporter dans son monde plein de nymphettes, de dégoût et couronné, tout en haut, de ce ciel obscurci, par sa Dolorès, Lolita.
L'histoire, quant à elle, et je m'en rend compte à force d'écrire, ne peut être dissociée de cette écriture. Lolita est un tout, mais je vais faire de mon mieux pour paraître clair et précis, difficile en sortant de cette lecture tant les pensées se bousculent ; il faudrait des années pour percer la surface d'un livre comme celui-ci. Humbert Humbert, du pseudonyme que le nympholepte s'est choisi, aime les jeunes filles prépubères, les nymphettes, entre neuf et seize ans. Toutes les filles ne sont pas des nymphettes, et seuls ses yeux d'experts peuvent les voir. Délirant, malade, Humbert se fait ensorcelé par l'une de ces nymphettes, Dolorès Haze, surnommée Lolita. La passion d'Humbert pour Lolita, la jeunesse de Lolita et ses changements d'humeur, de sentiments, d'envies forment sinon un cocktail, un mélange explosif dont la gamine mène la danse, prenant vite conscience des avantages qu'elle peut tirer de la nympholepsie de cet homme.
Je trouve le "résumé" que je viens de faire bien incomplet, bien simple et facile, ne rendant pas hommage à l'oeuvre que je viens de lire.
Lolita, je pourrai en parler pendant des heures, sans arriver à structurer ce que je pense sans un terrible effort, tellement plus que tout, c'est la sensation que l'on éprouve en découvrant à la fois la magie de l'écriture et l'histoire d'Humbert de Lola qui n'est pas aisément descriptible.