En juillet 1905, à Chasseneuil, dans le Val de Loire, Julien Derouet, dix-sept ans, se voit offrir des vacances merveilleusement inattendues : un séjour d'un grand mois en Allemagne. C'est la prestigieuse Mme Roy qui l'invite à les y accompagner, elle et ses filles, Brigitte, l'aînée, Blonde, la cadette, dont Julien est amoureux depuis l'enfance. Le but du voyage est Offenbach-sur-le-Main, près de Francfort, où le fils de Mme Roy, Pacôme, fait son apprentissage chez un maître tanneur...
Voilà le résumé copié-collé, à partir du site Internet des éditions du Seuil, de ce roman tardif de Maurice Genevoix. Ouais, en effet, ce Lorelei a été publié en 1978, alors que l'auteur était au crépuscule de sa longue et riche existence. Il voulait sûrement se rappeler, à travers l'écriture de cette œuvre, une époque qu'il a connue, qui devait lui apparaître aussi bien proche qu'incroyablement lointaine. Oui, incroyablement lointaine, parce que, bien que seulement quelques décennies se soient passées, bien que l'on fût toujours dans le même siècle, les énormes avancées technologiques ainsi que les considérables bouleversements politiques à s'être déroulés, durant ce court laps de temps, devaient dégager l'impression que plusieurs centaines d'années s'étaient écoulées.
Ce livre est tombé dans l'oubli. Et moi-même, j'aurais continué d'ignorer son existence si je n'étais pas tombé dessus, par hasard, dans un vide-grenier, rue Jean-Jacques Rousseau, à Dijon, et que je ne l'avais pas acheté pour la modique somme de 50 centimes, attiré que j'étais par la douce sonorité wagnérienne du titre (même si, à ma connaissance, le compositeur de Tannhäuser n'a jamais prénommé un des personnages de ses opéras ainsi, mais bon, je ne vais pas demander à mes trois pauvres neurones moisis d'avoir des connexions logiques !). Pourquoi cet oubli ? J'ose une réponse simple, il est tout simplement médiocre. Et si mon édition Livre de Poche 1984 avait été plus d'une épaisseur plus grande que 219 pages, avec des caractères bien plus petits que ceux d'une taille un peu plus grande que la moyenne, je ne pense pas que j'aurais eu le courage de le terminer.
Quoique, s'il avait été plus long, les personnages auraient été, peut-être, beaucoup plus consistants, les relations entre eux beaucoup plus approfondies et l'intrigue beaucoup mieux construite. En conséquence, j'en aurais eu quelque chose à foutre.
Il y a une espèce d'histoire d'amitié entre un Français (Julien Derouet !) et un Allemand, d'à peu près le même âge. Elle débarque comme ça, sans véritable introduction. Elle se résume, la grande majorité du temps, à quelques vagues et épars échanges, autour d'un étang, sur les tensions entre leurs deux pays. L'Allemand prédit même qu'il y aura une guerre exactement en 1914 (ouah, je ne l'aurais jamais deviné si j'avais été octogénaire lors des années 1970 !). Les personnages secondaires ne servent à que dalle. On est censé s'extasier sur une meuf mystérieuse qui apparaît deux-trois pages pour je-ne-sais-quelle-raison avant qu'elle s'en aille définitivement pour je-ne-sais-quelle-raison. Il y en a une autre, la Mme Roy du résumé, tout le monde est admiratif devant elle, on ne sait pas pourquoi non plus. Les motivations de chacun et de chacune sont incompréhensibles, y compris celles du Julien.
Peut-être que sous le truchement d'une fiction, en inventant pas mal, l'auteur se remémore pour lui-même quelques brides de souvenirs (après tout, comme le personnage principal, il a passé une partie de son enfance dans le Val de Loire !). Mais j'ai eu l'impression que c'était uniquement un roman pour lui-même (qu'il comprenait pleinement dans son esprit, sans réussir à le transcrire sur le papier !) et pas du tout pour le lecteur. En tous les cas, celui que je suis n'a pas du tout saisi, déjà ce que ça raconte, ensuite la raison d'être du tout.
C'est regrettable parce que les tensions sous-jacentes entre les deux nations, plus que présentes durant la période lors de laquelle le récit se déroule, avec cette guerre que l'élite politique, l'élite militaire et une bonne partie des populations devaient considérer comme inéluctable, offraient le potentiel d'une toile de fond qui pouvait être aussi bien tendue qu'apaisée. Ce qui semblait être l'ambition du bouquin à l'origine. Mais, à cause des défauts très dommageables, susmentionnés, c'est raté.
Attention, je ne dis pas que Maurice Genevoix n'était pas capable d'écrire. Loin de moi cette pensée indigne. Quand il décrit, par exemple, dans le livre dont il est question ici, les sensations, visuelles et sonores, que l'on ressent lorsque l'on traverse un endroit de nuit, pendant un feu d'artifices, parmi une foule contemplative, on atteint la justesse. Il est incontestable aussi qu'il était imbattable pour ce qui était de décrire la nature plus ou moins sauvage. Cela, d'ailleurs, il me l'avait déjà prouvé lors de ma lecture (captivante, malgré ma haine absolue de la chasse et des chasseurs !) du très bon Raboliot. Ce dernier est resté, notamment parce que les caractères étaient bien creusés, parce que, même si c'est un abruti, on perçoit les motivations de celui dont le surnom donne son titre à l'ensemble.
Et non, cette expérience de lecture bien décevante ne me décourage pas du tout d'aller vers d'autres ouvrages, que j'espère, avec optimisme, bien supérieures de Maurice Genevoix, car même les plus grands ont, inévitablement, leurs ratés. Je suis certain que de futures belles expériences avec lui m'attendent. Pourquoi pas au détour d'un autre vide-grenier...