Au lycée, on nous présente souvent la bataille d'Hernani de façon simpliste : elle opposerait les vieux "Perruques", qui s'embourbent dans les règles classique et dans un théâtre qui ne parvient pas à se renouveler, aux "Jeunes-France", groupe de jeunes romantiques qui incarnent le renouveau, la créativité, bref qui vont rendre au théâtre ses lettres de noblesse.
Certes, Lorenzaccio n'a pas été joué au XIXe siècle, mais la pièce porte tout de même les stigmates de cette époque : pour faire simple, c'est un drame romantique. J'ai lu assez peu de drames romantiques, mais je trouve dans cette pièce les mêmes défauts que dans la plupart d'entre eux, et notamment Hernani : le lyrisme exacerbé, la plainte, l'exclamation, la supplique, encore et encore, jusqu'à l'indigestion. Cela commence d'ailleurs dès la première scène :
Ô honte ! ô excès de misère ! S'il y a des lois à Florence, si quelque justice vit encore sur la terre, par ce qu'il y a de vrai et de sacré au monde, je me jetterai aux pieds du Duc, et il vous fera pendre tous les deux.
Maffio, Acte I scène I
Bref, on se croirait dans un texte juridique de Cicéron et c'est insupportable. à la lecture, on comprend pourquoi le drame romantique a aujourd'hui peu de popularité : il est censé mettre en exergue les sentiments, faire ressentir des émotions, parler au coeur, mais sur ce terrain, il n'arrive pas à la cheville de la plus mauvaise des pièces de Racine.
à ces défauts bien romantiques, il faut en rajouter un plus propre à cette oeuvre : la multiplication des lieux et des personnages, à n'en plus savoir où donner de la tête. Sur scène, cela rajoute un intérêt, la mise en scène se fait en "scénettes", pour donner un plan d'ensemble des lieux... Mais lorsqu'on lit l'oeuvre, elle s'en retrouve alourdie, et bien aisé qui ne s'y perd pas. La fresque historique que tente ainsi de peindre Musset, comme déja dit dans une autre critique, semble bien brouillon, avec quelques anachronismes (volontaires ou non), et un parallèle historique qu'on peine à trouver pertinent.
Cependant, tout n'est pas noir, et on serait presque tenté d'oublier tous ces défauts juste pour le personnage de Lorenzo, tant celui-ci est bien écrit, tant ses tirades sont tourbillonnantes de verve et de panache. La troisième scène du troisième acte, où Lorenzo dialogue avec Philippe, est un grand moment du théâtre,et on ne peut que sentir son coeur se soulever en lisant ces mots :
Et me voilà dans la rue, moi, Lorenzaccio ? et les enfants ne me jettent pas de la boue ? Les lits des filles sont encore chauds de ma sueur, et les pères ne prennent pas, quand je passe, leurs couteaux et leurs balais pour m'assommer ? Au fond de ces dix mille maisons que voilà, la septième génération parlera encore de la nuit où j'y suis entré, et pas une ne vomit à ma vue un valet de charrue qui me fende en deux comme une bûche pourrie ? L'air que vous respirez, Philippe, je le respire : mon manteau de soie bariolé traîne paresseusement sur le sable fin des promenades ; pas une goutte de poison ne tombe dans mon chocolat - que dis-je ? Ô Philippe ! Les mères pauvres soulèvent honteusement le voile de leurs filles quand je m'arrête au seuil de leurs portes ; elles me laissent voir leur beauté avec un sourire plus vil que le baiser de Judas - tandis que moi, pinçant le me,ton de la petite, je serre les poings de rage en remuant dans ma poche quatre ou cinq méchantes pièces d'or.
Malgré l'inégalité de la pièce, elle reste donc incontournable, ne serait-ce que pour ce superbe personnage, qui donne un souffle tragique à l'action politique et à l'altruisme.