Machiavel avant Machiavel !

L'"Universelle Araigne", sous la plume des chroniqueurs des ducs de Bourgogne, c'était une insulte. Mais on a plutôt envie de prendre ce surnom comme le meilleur compliment, le plus justifié, que l'on puisse donner à ce roi incroyable qu'était Louis XI.

Lorsque l'on est passionné par l'histoire, on a immanquablement ses haines et ses adorations. Je l'avoue, j'adore Louis XI. J'adore sa personnalité, celle d'un très redoutable animal politique qui, par son habilité, sachant plier, mais ne se rompant jamais (pour employer une métaphore anachronique, mais pertinente !), a su rendre à jamais impuissant le féodalisme, a su renvoyer à leur médiocrité des puissants qui ne pensaient qu'à combler leur orgueil et leur soif de richesse égoïstes, a su unifier solidement et durablement le pays, l'a modernisé (aussi sur les plans du service des postes, de l'imprimerie, du commerce, etc. !), a su le préparer au passage du Moyen Âge à la Renaissance.

S'il allait sur les champs de bataille quand il ne pouvait pas faire autrement, y faisant preuve d'un sens tactique et d'un courage physique à toute épreuve, ses armes les plus efficaces et qu'il se plaisait le plus à utiliser étaient la diplomatie et la ruse. Certes, il pouvait être cruel à l'occasion, mais par rapport à son époque, il était beaucoup plus humain que la moyenne. Un monarque qui avait pour souci de verser le moins possible le sang, ce n'était pas franchement fréquent au XVe siècle, ni dans les siècles qui suivent.

Pour ajouter à l'admiration, on peut préciser aussi que c'était un être qui aimait se vêtir simplement, loin de l’ostentation de ses gênants féodaux, qui préférait, lors de ses nombreux déplacements sur le territoire national, aller dans une auberge ou dans la maison de ses sujets les plus modestes plutôt que de loger de résidence luxueuse en résidence luxueuse. Un monarque qui fréquentait autant et aussi naturellement les gens du peuple, ça ne s'était jamais vu et cela ne se reverra jamais.

Un être exigeant envers ses hommes de main, tel par exemple un Philippe de Commynes (dont j'ai hâte de lire les Mémoires !), mais qui ne manquait jamais de leur être reconnaissant, de savoir les récompenser à leur juste valeur.

Certes, s'il a eu quelques inévitables casseroles comme le Traité de Péronne, où il s'était jeté inconsidérément dans la gueule du loup, ou une fiscalité un peu trop forte en fin de règne, le bilan global de son règne en fait pour moi non seulement le meilleur roi de France de tous les temps, mais aussi un des meilleurs dirigeants que le monde ait connu. Certains lui reprochent en outre une certaine paranoïa. Ce serait un peu trop oublier que le monsieur a eu affaire à un nombre très considérable de complots venant de ses ennemis.

Un roi qui s'en était pris plein la gueule point de vue postérité. Merci les Bourguignons, merci Victor Hugo, merci Walter Scott. Mais le succès étonnant d'une biographie captivante d'un universitaire américain, Paul Kendall Murray, a su heureusement lui rendre justice au XXe siècle. On a dans ce livre la rigueur de l'universitaire sans la sécheresse, la puissance du romanesque sans l'affabulation. C'est un ouvrage absolument incontournable, un modèle.

Un hommage sincère et flamboyant à ce Machiavel avant Machiavel, qui, contrairement à beaucoup trop de dirigeants à venir, n'aurait pas ignoré la partie du Prince consacrée au bien du peuple, et qui montre quel être absolument exceptionnel il était.