Hazelwood fait du Hazelwood. Love on the Brain reprend les éléments de The Love Hypothesis qui seront aussi ceux de Love, Theoretically (ça y est, je suis devenu expert) : un ennemies-to-lovers dans le monde sans pitié de la recherche universitaire. C’est son deuxième roman et j’y lis une version moins aboutie de son plus réussi, Love, Theoretically, à la fois dans la charpente du récit et les thèmes abordés. L’aspect college novel est ici assez pâlot – une histoire de collaboration entre deux institutions scientifiques prestigieuses – et la romance téléphonée. The Love Hypothesis avait comme grande qualité la construction du récit et l’écriture, et Love, Theoretically la profondeur psychologique des personnages et l’ambition littéraire. Celui-ci est pile entre les deux, la transition parfaite de la comédie romantique pure et dure vers un roman plus complexe.

On retrouve donc le trope ennemies-to-lovers, un personnage comique absolument savoureux (Rocío, gothique-féministe-sorcière finalement amoureuse d’une Barbie pailletée), l’amoureux-rival Levi, archétype des hommes hazelwoodiens (très grand, musclé, très bien doté, pince-sans-rire, à la voix grave et parfois rauque, amoureux-en-secret-alors-que-l’héroïne-prend-sa-froideur-pour-de-la-haine), des références de pop culture (cette fois-ci, pas Twilight, mais Star Wars et The Office). J’ai beaucoup ri aux jeux de mots sur les chats (« miaounifique » p. 44, « je te chat-hutais » p. 45, « Miaourie Curie » p. 24) et surtout au regard féminin et féministe de l’autrice sur la recherche universitaire en sciences dures. Hazelwood est vraiment impeccable dans son écriture de ce milieu. Son héroïne, Bee, est snobée par son collègue Levi : « Pour le moment, il a reçu trois mails sans y apporter de réponse. Je ne sais pas trop comment l’inciter à le faire. Utiliser la police Comic Sans MS ? Écrire en couleurs primaires ? » (p. 73). Ses formules de « Foire à la saucisse » (alternativement « Phallusland ») pour décrire l’ambiance d’un labo de recherche avec une seule femme, et de « Référence saucisse » pour désigner la nécessaire validation par un homme de la parole d’une femme pour qu’elle soit crue par d’autres hommes, sont bien trouvées, sociologiquement (et tristement) vraies et très bien mises en scène. La carrière de Marie Curie est utilisée en fil rouge du roman. C’est plutôt bien vu, et en même temps la ficelle s’use un peu.

Après trois romans dans la même veine, Ali Hazelwood semble avoir compris être arrivée à la fin d’un cycle. D’ailleurs, son 4e roman à destination d’un public plus jeune parle des échecs (Check & Mate, chez Gallimard Jeunesse, s’il vous plaît, et plus Hauteville-Hachette), et le prochain à paraître relève de la fantasy. Voilà une autrice qui ne s’est pas enfermée dans une auto-caricature d’elle-même malgré le succès, et cherche à se renouveler. Une écrivaine.

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le 11 août 2024

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Antoine Grivel

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