Dans cette nouvelle trilogie, celle du "Pont", Gibson utilise moins de jargon que dans la trilogie de la Conurb. Cela dit, l'écriture est toujours aussi serrée et exigeante : il faut interpréter les phrases de Gibson pour comprendre qui fait quoi. A ne pas lire un vendredi soir avec toute une semaine dans les pattes, sinon vous vous retrouverez à relire trois fois la même page.
L'univers est fabuleusement riche : dans un futur proche, où les voitures ont des systèmes de guidage satellite et la police un satellite appelé "Etoile de la mort", le pont de San Francisco, qui devait être privatisé, a été finalement occupé et aménagé en un étonnant chaos par les laissés-pour-compte de la ville. Skinner, un des pionniers, vit sur le toit d'un des pilônes, dans une sorte de cabane de pêcheur. Vieux, il est nourri par Chevette, coursière à moto ultralégère, qui lui a piqué son blouson. En s'attardant dans une soirée où elle n'était pas invitée, Chevette met la main sur des lunettes à lumière virtuelle, qui ont des données ultraconfidentielles sur un nouveau projet immobilier pour Frisco. On envoie des chiens à sa poursuite, parmi lesquels Rydell, qui est manipulé et qui tombe amoureux d'elle.
Gibson est toujours aussi doué pour décrire l'aménagement urbain et la culture urbaine américaine. Peu de culture japonaise, cette fois. Parmi les trouvailles : une église frappée qui pense que Dieu parle par le biais de vieux TV shows, avec une croix surmontée d'un téléviseur (pour eux Vidéodrome" de Cronenberg est hérétique) ; l'histoire du gars qui a arrêté le Sida, Shapely, qui fait lui aussi l'objet d'un début de culte inquiétant, quelques entrées dans le monde des hackers, des tatoueurs, des coursiers. La violence est toujours là, quoiqu'un peu plus rare que dans la trilogie précédente. Le dénouement est un peu trop énigmatique à mon goût, mais bon.