C'était le livre de la rentrée littéraire de septembre que j'avais le plus envie de lire. Magyd Cherfi me réjouit depuis longtemps avec ses textes au sein du groupe Zebda et j'ai toujours apprécié son regard nuancé sur l'actualité. Dans ce livre il nous raconte l'année de son obtention du baccalauréat, le premier du quartier.
Poussé par une mère qui a de grandes ambitions pour lui, il se plonge très vite dans la littérature et l'écriture. Il subit les insultes et les moqueries des autres jeunes du quartier, il réplique avec des phrases bien conjuguées et des mots. Il se trouve alors très vite tiraillé entre deux mondes, celui de la rue et celui de son lycée. Il oscille entre sa culture kabyle et française. En arrivant au lycée, hors de son quartier, il perçoit le malaise en entendant son entourage se sentir si peu français. Il commence à réfléchir sur son identité.
On parlait des français comme les français parlaient des martiens..."
Avec quelques copains, il monte une association pour proposer du soutien scolaire aux enfants du quartier. Il tente de leur éviter le décrochage scolaire et de leur montrer qu'ils ne sont pas prédéterminés à exercer un métier manuel. Il se heurte aux réticences de certaines familles, à leurs angoisses. Il écrit aussi pour les gens du quartier qui sont souvent analphabètes. Malgré les insultes des autres et la pression de sa mère qui ne rêve que du bac, il avance entre deux mondes.
Le récit est extrêmement intéressant car il montre la violence que certains lieux ou certaines situations renvoient aux habitants des banlieues. On voit aussi que le "récit national" n'est pas adapté à la société multiculturelle dans laquelle on vit.
" J'ai senti tout le poids de mon aliénation, le même sentiment d'être étranger dès que je remonte le temps.
Sous une arcade millénaire ou devant un tableau du siècle dernier, même appréhension. Dans une église aussi où j'ai cru mon malaise dû à une autre pratique culturelle, main non, c'est à l'age des pierres que j'en voulais.
Plus je remontais dans le temps et moins j'appartenais au peuple de France, suffisait d'un rideau rouge , de colonnes majestueuses, de quelques boiseries et de tableaux d'art et je me sentait renvoyé au néant de me propre histoire. La profondeur des racines empêchait la greffe."
Si certains passages sont extrêmement drôles, d'autres sont assez durs. La place des femmes dans le quartier est dénoncée avec force, la violence à leur encontre étant quotidienne. L'auteur peste sur son impuissance à intervenir et sur cette loi machiste qui régit les rapports familiaux. Il raconte comment une de ses amies est battue par son père pour avoir lu Stephen Sweig. Il montre aussi comment les filles se briment elles-mêmes et renoncent vite à une quelconque ambition.
"J'ai regardé Bija, c'en était trop autant de coup sur la même personne. J'ai vu nos mères, nos femmes bafouées, réduites dans l'acceptation du pire. Dans Bija j'ai vu leur silence au nom des enfants qu'il fallait tenir coute que coute, au nom de l'honneur de mes deux."
Bien qu'il y ait quelques égarements dans le récit et un style parfois un peu lourd, c'est un texte extrêmement fort. Avec humour et gravité il nous donne une vision des quartiers nuancée. Il nous pose les problème auxquels se heurtent ces jeunes avec lucidité. Un texte qui fait réfléchir.
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