Insurrection malgache et luttes décoloniales

Il aura fallu plus d’un demi-siècle pour que l’œuvre d’Emilson Daniel Adriamalala (1918 – 1979), figure majeure de la littérature malgache, soit accessible au lectorat francophone. Et c’est aux jeunes éditions Dodo Vole que l’on doit cette première traduction en français de l’un des chefs-d’œuvre de la littérature malgache, si peu représentée dans le paysage éditorial français. Entre révolution, lutte anticoloniale et amour déchu, avec, pour toile de fond, les insurrections malgaches de 1947 et l’impitoyable répression du pouvoir colonial français.


La traduction n’est pas seulement cette translation d’une langue à une autre, quand elle concerne le passage d’une langue dominée, peu valorisée littérairement, à une langue fortement pourvue en capital symbolique, la traduction se fait alors transmutation littéraire ou littérarisation. Opération « par laquelle un texte venu d’une contrée démunie littérairement parvient à s’imposer comme littéraire auprès des instances légitimes »


De ce point de vue, le cas d’Emilson Daniel Adriamalala est à la fois emblématique et particulier. Que son nom soit, encore aujourd’hui, inconnu en France est dû à cette absence de traduction dans l’une des langues qui domine l’espace littéraire international. Le paradoxe étant que la première traduction de cet écrivain singulier nous parvienne par l’entremise d’une structure éditoriale ne bénéficiant pas, malheureusement, de la visibilité dont elle devrait jouir. Le roman – et sa traduction française – se confrontant à une double domination, langagière et éditoriale, dont souffre un certain nombre d’œuvres issues des littératures africaines, notamment.


Paru en 1954, et maintes fois réédité depuis, Ma promise a influencé plusieurs générations d’écrivain·es Malgaches. Roman hybride, inclassable, à la croisée de la romance et du conte, du récit et du roman historique, prenant la forme d’une lettre écrite par le narrateur, Lala, à destination de Lisy, un temps son épouse, l’ayant quitté depuis. Il revient sur la genèse de leur histoire, cette rencontre fortuite du côté d’Andekaleka, petite localité située sur la côte Est de Madagascar. Lisy y ayant fait escale à la recherche de la sépulture de son ancien amant qui y aurait été enterré, pourtant personne dans la région ne semble en mesure de lui indiquer l’emplacement de la tombe. La composition du roman, 34 courts et denses chapitres se fait alors circulaire, retour dans et par l’écriture sur leur histoire donc, avec cette double énonciation singulière qui traverse les pages. Adresse directe à Lisy qui se matérialise par l’usage de ce « tu » intermittent, jouant dans et par ce pronom personnel sur le paradoxe de sa présence à elle, dans la diégèse, son absence alors que s’écrit cette lettre qui nous est indirectement destinée. Lettre-livre, roman épistolaire, où cette rencontre inopinée (d’apparence) donne lieu à une attirance réciproque, Lisy et Lala décident de faire un bout de chemin ensemble, se trouvant alors très vite pris·es dans les remous des insurrections malgaches de 1947, au sujet desquelles il nous faudra dire quelques mots.



Finie la camaraderie. Brisée l’amitié née du sang versé ensemble sur
le sol européen au nom de la liberté. Ce fut à qui des deux côtés
serait le plus bestial, le plus impitoyable dans l’affrontement… p. 101



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le 13 mars 2022

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