Impressionnante leçon d'écriture que ce petit livre de Arthur Schnitzler, qui déroule en une centaine de courtes pages le calvaire psychologique d'une jeune fille mis devant un choix déchirant: pour sauver de la prison son père, escroc peu habile, elle doit se donner en pâture à un ami de celui-ci, qui détient les fonds qui sauveront sa famille. Acceptera-t-telle cette humiliation? Elle songe au suicide. Osera-t-elle? Ces interrogations, nous les vivrons au plus près, au fur et à mesure qu'elles se formulent dans l'esprit de la jeune fille. Bluffant.
En effet Schnitzler joue ici avec ce mode très particulier d'écriture qu' est le "stream of consciousness" cher à Virginia Woolf, James Joyce en encore Beckett. C'est très pointu comme méthode, essayer de décrire en mots non seulement le tourment intérieur d'un personnage mais ses perceptions en temps réel (son, odeurs, images, etc... ) et c'est très casse-gueule, pour parler en termes littéraires. Mais pas pour Schnitzler, clairement.
La magie opère ici à merveille, comme une partition musicale. Des premières impressions de villégiatures aux rêves éveillés, de la terrible réalisation de ce qui lui est demandé à l'impossible décision, des vapeurs du présent aux images fugaces de futurs imaginés, toute la complexité de la pensée et des sensations qu'éprouve la jeune femme nous sont distillées dans une langue sobre, efficace, et l'émotion monte en crescendo en une chronologie totalement inéluctable . C'est du grand art, tout simplement, où l'émotion n'est pas éclipsée par le superbe exercice de style.
Recommandé, chers guys et chères guyzettes, car c'est un très beau moment de lecture.