Je dois bien avouer qu'il m'est toujours plus difficile de m'adonner à l'examen d'une œuvre que j'admire et dont je raffole sans limite qu'à celui d'un étron monumental, et cela je crois pour deux raisons : la première étant que je remarque sans peine ce que je n'aime pas dans une œuvre et que l'affirmer pour ce qui est du contraire serait menteur. J'ai bien souvent une sensation affriolante mais dont j'ai du mal à exprimer le corps au travers du langage. Ainsi, adepte de la convocation de Boileau, je me suis contraint à cet exercice enfin de compte plaisant. La deuxième raison que je désire avancer est la perception de la petitesse de mon travail face à l’œuvre magistrale que la vie m'a donné la chance de contempler. C'est donc pour tenter de discourir sur le roman de Robert Merle que je me permets d'écrire ces quelques lignes. Alors au fond, je devrais certainement commencer par les défauts de cette œuvre mais comme sur ce point je ne saurais que dire, je m'abstiendrai de m'étendre d'une quelconque façon sur cela et m'empresserai de commencer ce modeste éloge. Malevil, épopée dramatique m'ayant transporté tout le long de ses 600 pages dans une France rurale encore bercée entre tradition et modernité, ainsi que journal pouvant devenir commensurable au doux sommeil où les mots s'écoulent tel les flots tranquilles sur le lit de la rivière sans qu'ils ne perturbent le radeau par leurs vagues lancinantes. Un livre babillard, certes, mais fondamentalement dynamique et où les longueurs se font rares. Un format consentant à l'habile épanouissement de l'introspection dans des figures percutantes et captivantes. Une odyssée décadente décrivant généreusement l'effondrement de la société sous le poids de sa propre folie et le retour inévitable à ses racines pour finalement mieux prospérer. Un véritable plongeon dans un récit à la dimension politique non moralisatrice, le génie de Merle étant de ne pas sombrer dans le manichéisme kantien qui voudrait appliquer aveuglément l'idée d'impératif catégorique. Non, ici c'est bien plus éclatant, bien plus réaliste... La complexité existentielle est ici magnifiée, célébrée dans toute sa médiocrité comme si l'on dévorait un polar où qu'on dépouillait un épisode de The Walking Dead. Malevil serait en somme l'incarnation de la puissance du réalisme dans toute son ambiguïté, aussi prodigieusement décrite que dans Le Chagrin et la Pitié et mettant en perspective deux visions des évènements et des épreuves traversés par nos héros de telle façon que je n'ai pu qu'en ressortir ému.