Le manuscrit de l'amer mort
Martin Eden est un jeune marin assez fruste qui tombe amoureux d'une jeune fille de la haute bourgeoisie et décide pour ses beaux yeux de se forger une culture et, dans la foulée, de devenir écrivain.
En quelques années, Martin Eden vit la vie de Jack London, n'y manquent que la ruée vers l'or du Klondike et le vagabondage du hobo, mais pour ça, faut lire ses autres bouquins, excellents par ailleurs, ce n'est pas le sujet ici.
C'est fascinant l'apprentissage de la culture d'une vie en mode accéléré... C'est dur aussi, surtout quand on se rend compte de la médiocrité intellectuelle de ce qu'on croyait des élites à force de creuser toujours un peu plus loin...
Et c'est dur le métier d'écrivain, bordel, il en bave le cochon, il en envoie des manuscrits dans le tout pays pour recevoir des lettres-type, il en fait des passages chez ma tante pour tenir encore un tout petit peu plus longtemps et c'est assez magnifiquement rendu, infiniment mieux que dans ce fade remake que John Fante écrira trente ans plus tard et qui fascine tant la nouvelle génération...
Martin rencontre un jour Brissenden, sorte de George Sanders génial et tuberculeux qui lui ouvrira un petit peu les yeux avant de fermer les siens. Un cynique condamné, ne laissant derrière lui que le manuscrit du plus beau poème de son temps. Il y a aussi une nuit de discussion philosophique chez les miséreux des bas quartiers, quelques meetings politiques, des beaux-frères repoussants, une logeuse admirable, et la quête désespérée du moindre petit dollar qui permettra à Martin d'espérer encore un peu en achetant quelques timbres.
Bien sûr le bougre pue le sexe, il a un cou de taureau, des poings d'acier et bouleverse les femmes qu'il rencontre... C'est toujours viril en diable un bouquin de London... A côté de ça, l'objet de son adoration ne peut pas rester indifférente, mais tout de même, c'est dur de conquérir une fille de bonne famille, surtout lorsqu'elle fait des études littéraires et que vous êtes un matelot sans le sou qui fume, jure et qui a toute son éducation à refaire...
London se paie la tête des milieux bourgeois et petit-bourgeois, et ça fonctionne à merveille, il essaie aussi de se moquer à travers son héros des individualistes nitzschéens, mais là, ça marche moins bien, Martin bouffe London et renvoie son socialisme naïf aux tréfonds des limbes... Jack a toujours été trop tendre en politique, trop utopique, la prohibition prouvera ça assez bien, et c'est bien beau d'avoir foi en l'homme et de reprocher à son héros de ne pas faire de même, mais ça ne convainc personne... J'ai déjà lu Radieuse Aurore, mon bon, Jack, que tu écriras l'année suivante, tu ne leurres plus que toi-même, pas pour longtemps, Martin te rattrapera bien assez tôt.