Nul roman de Jurica Pavičić ne pourra sans doute égaler son opus majeur, L'eau rouge, mais chaque nouveau livre de l'auteur croate recèle des trésors d'humanité blessée qui laissent toujours une trace profonde. C'est toujours sa ville de Split qui sert de décor, pas celle des touristes, mais l'envers de son paysage, ses immeubles défraîchis et ses friches industrielles abandonnées, entre autres. Mater Dolorosa ressemble à une toile d'araignée avec trois personnages principaux mêlés, malgré eux, au crime sordide d'une adolescente. Le meurtrier est connu très vite mais il reste en marge du centre de l'intrigue, la trame policière restant de son côté bien présente mais davantage pour étudier les effets secondaires de l'enquête que pour créer un véritable suspense. Comme nous, les principaux protagonistes de Mater Dolorosa, une mère, une sœur et un policier, savent la vérité mais auront-ils la possibilité, la volonté ou le courage de la faire éclater ? Quoi qu'il en soit, ce qui intéresse l'auteur, c'est le poids de la conscience de chacun d'entre eux, la déflagration intime qui transforme leur vie en cauchemar éveillé. L'étude de la psychologie humaine, surtout en temps de crise émotionnelle, passionne Jurica Pavičić, qu'il mélange avec des considérations sociales et un rappel historique de l'histoire récente et douloureuse de la Croatie. La progression dramatique va crescendo, s'attardant sur les frustrations et les compromissions de toute existence. Au-delà du bien et du mal, le romancier s'insinue dans les zones grises des âmes de Ines, Katja et Zvone. Nous pouvons juger, condamner ou absoudre leurs faits et gestes mais, avant tout, nous les comprenons car ils ne sont ni meilleurs ni pires que la plupart d'entre nous. Ils sont simplement humains et perfectibles.