Première lecture des nouveautés de 2023, premier ennui profond. L'avis ne sera sans doute pas partagé (pas grave), car Mrs Groff est abondamment lue. Mais je n'ai trouvé aucun élan, aucune sincérité dans cette littérature pourtant brillante, sur le plan technique au moins. Oui, c'est écrit, très écrit... mais bien écrit ? Si je ne vibre pas, j'ai tendance à répondre non, et il s'agit bien sûr d'un ressenti purement personnel.
Un point en particulier dans l'écriture m'a horripilé : Lauren Groff refuse les dialogues. Toute parole prononcée l'est dans un discours rapporté : "Marie dit que", "XXX répond que". Je trouve ce choix terriblement appauvrissant, on a l'impression de lire un traitement de scénario pour le cinéma. Privés de voix, les personnages perdent un peu de leur âme.
Par ailleurs, sur le fond - car il faut avant tout parler de cela -, Groff entreprend d'inventer une vie à la poétesse Marie de France, restée dans la postérité notamment pour des textes vibrant d'amour courtois, héritages inspirés de la littérature arthurienne dont elle a réinterprétée autant la forme que le propos. De la biographie de cette Marie, on ne sait rien avec certitude, ce qui lui a valu une myriade d'identités possibles selon les rares indices disséminés dans ses textes.
Lauren Groff choisit une piste (celle d'une demi-sœur d'Henri II Plantagenet, expulsée de la Cour par Aliénor d'Aquitaine pour devenir prieuré d'une abbaye lointaine et misérable qu'elle entreprend, à la force du poignet, de redresser puis de transformer en utopie mystico-chevaleresque), et pourquoi pas.
Problème : tout au long du livre, elle se concentre uniquement sur sa plongée dans sa vie de religieuse autant que sur son parcours de femme acharnée à briser tous les carcans, à commencer par les siens. Quid de son œuvre littéraire ? Étant donné l'importance que cette dernière a laissé dans l'histoire littéraire, il paraît saugrenu de l'ignorer.
J'ai trouvé par ailleurs le roman envahi de personnages profondément antipathiques, mesquins, violents et agressifs, notamment parmi les nonnes qui hantent l'abbaye confiée à Marie de France. Alors, n'allez pas croire que j'idéalise les dames à cornette (au contraire) ou que je ne prends jamais aucun plaisir à croiser des personnages détestables dans mes lectures (au contraire encore ! Quoi de plus jouissif que d'aimer détester un personnage à la méchanceté flamboyante ?) ; mais ceux-ci, à l'image du reste du récit, m'ont paru froids, racornis, pétrifiés dans leur mépris des autres.
Cela dit, c'était sans doute l'objectif, et donc Lauren Groff a atteint son but, à savoir m'agacer avec des caractères aussi odieux et la description aussi pénible d'une époque, de lieux et de mentalités confits de barbarie. Mais cela ne m'a procuré aucun plaisir à la lecture, et c'est tout de même ce que je regrette le plus.
Bref, ce livre a du propos, ça aurait pu m'intéresser, mais les choix formels et narratifs de Lauren Groff m'ont laissé au bord de la route dès les premières pages. Dommage.