On ne sait quasiment rien de la vie de Marie de France, première poétesse de langue francaise à la fin du 12e siècle.
Aussi Lauren Groff lui a inventé une biographie.
Mise de force dans une abbaye anglaise miséreuse par Alienor d'aquitaine, Marie va vite prendre en main le développement du lieu, le sortir de la pauvreté et en faire un refuge pour les femmes, bloquant tout accès à l'abbaye pour les hommes, jusqu'à devenir une menace pour l'ordre en pratiquant des tâches normalement interdites aux hommes.
Derrière ce récit d'une vie illuminée (Marie se sert de visions divines dont on ne sait si elle y croit pour imposer le développement de l'abbaye) l'autrice invente une communauté de femmes utilisant la religion pour se protéger et développer une véritable sororité entre elles, abrités derrière une sorte de Brienne de Torth ayant rejoint les ordres. Sous sa nature forte et inflexible, Marie est profondément humaine et tolérante, trouvant des excuses pour ce que l'église considère comme des péchés (comme son amour réel d'autres femmes et le lesbianisme de plusieurs sœurs ou son orgueil) et transforme l'abbaye en véritable sanctuaire pour les femmes, n'oubliant pas pour autant la pauvreté et la maladie hors les murs.
Lauren Groff raconte tout cela dans un style magnifique (la traduction est à la hauteur), mélangeant première et troisième personne, usant du discours indirect libre plutôt que de dialogues directs, nous partageant les pensées de Marie, ses contradictions et ses évolutions sur plus de cinq décennies, nous délivrant des émotions jusque dans les dernières pages dont on ressort ému en ayant l'impression d'avoir partagé une vie hors de l'ordinaire, mettant en scène une pensée actuelle sans qu'elle fasse tache dans la France du 12e siècle. Absolument remarquable.
(seul petit regret : l’œuvre littéraire de Marie de France n'est que peu évoquée)