Cette réécriture d'Anouilh fut écrite en 1946, soit dans un contexte de post-seconde guerre mondiale, de désolation individuelle et générale à propos de l'humanité. En effet, comment se relever, continuer de vivre après tant de haine ? Comment réapprendre à aimer ? Et cette Médée nous en propose une réponse, ou tout du moins présente le problème et évolue à partir de celui-ci.
Il y a d'un côté Médée, le mal en personne qui vit de haine et honnit le bonheur. Elle est une femme, une étrangère, une sorcière (cet aspect est cependant très effacé ici) et seul l'amour jusqu'ici la rendait humaine. Anouilh l'a peut-être ressentie comme symbole de la guerre, avec sa haine omniprésente, la xénophobie dont elle est victime : c'est une tsigane dans une roulotte, à l'écart des Corinthiens, à l'écart du bonheur qui va être chassée par le pouvoir en place. C'est la cause du malheur de beaucoup d'humains, de familles (cf Pélias), et n'agit que pour elle ou pour son amant. Et justement, de l'autre côté nous avons les hommes, principalement Jason, cet amant, et Créon, le roi de Corinthe qui veut marier sa fille Créüse avec Jason. Ce dernier accepte en pensant à sa vieillesse et la veut tranquille, et souhaite donc avoir pour épouse une femme respectée de tous et non pas Médée, une étrangère, malgré tous les actes terribles qu'elle a commis pour lui. On ne lui reproche aucun de ses actes, tout comme Créon qui a tué tout autant. Seule Médée leur dira leur lâcheté et leur privilège d'être homme, car elle, commettant des crimes se fait bannir de toutes parts tandis qu'eux sont loués pour leurs gestes héroïques.
Mais cette dimension de disparités cruelles entre hommes et femmes se retrouve moins dans cette pièce que dans celle d'Euripide par exemple, même si la première partie de la pièce en est marquée : "O soleil, si c'est vrai que je viens de toi, pourquoi m'as-tu faite amputée ? Pourquoi m'as-tu faite fille ?". Mais Anouilh va au-delà de cette problématique et voit dans ce mythe un apprentissage de l'humanité pour l'homme, et trouve une sorte de réponse à la question que posent les atrocités de la guerre 39-45 : Comment revivre, encore aimer, goûter un bonheur après l'horreur ? Alors, Anouilh-Jason s'assoit et contemple la guerre-Médée et la comprend avec les explications du passé : crise économique, politique etc ou pour Médée un bannissement de toutes parts, une solitude et donc des retrouvailles avec la haine. Et Anouilh-Jason veut à présent évoluer se dirige vers la raison, l'acceptation, soit Créon et sa fille. Il quitte la bestialité de Médée pour embrasser sa maturité, son humanité. Pour la vie : la "volont[é] de vivre et d'être heureux".