Balance ton gosse

La suite de mon exploration du Grec Tragédie Universe me réserve une claque encore plus grande sur la précédente pièce de Sophocle. Cette Médée… quelle violence, quelle émotion, quelle modernité ! Un livre aussi féministe en -431, et dire que certains craignent l'aridité de la littérature non-contemporaine...

Les tragédies classiques vont toujours assez loin dans le choc émotionnel qu'elles souhaitent transmettre, Phèdre avec son amour impossible entre une mère et son fils, Antigone avec son interdiction complètement insensée, mais Médée pousse les choses encore plus loin avec ce meurtre d'enfants par leur propre mère ! Et c'est ça que j'aime particulièrement avec ces tragédies, une proposition de base toute simple, un récit très synthétique (une cinquantaine de page maximum), mais une claque parfaitement au rendez-vous de par ces tirades iconiques et cette grande théâtralité (via les chants du cœur notamment).

La préface de mon édition explique qu'Euripide est le plus moderne des dramaturges grecs, et que ses pièces revêtissent le plus grand aspect "psychologique". Et via Médée, c'est parfaitement perceptible. Il y a cette femme confrontée à l'abandon injuste de son mari, qui semble assez sain de surcroit (je le cite "Ah ! Les hommes devraient pouvoir se reproduire par quelque autre moyen, sans qu'existât la femme ! Alors tout irait bien pour eux, sans cette engeance !") et qui va produire des espèces de tirades féministes juste splendides. Que ce soit dans leurs monologues, lyriques à souhait, ou dans leurs ping-pongs de répliques, les personnages sont plus lyriques et réflexifs que jamais. Encore plus que chez Sophocle, où la tragédie semblait suivre son cours, les personnages sont ici en révolte et en incompréhension constante face à leur situation et leur destin. Lire cette histoire est un pur régal.

Le coup de génie final de cette Médée est sa variation sur le thème même de la tragédie. La fatalité n'émane pas du cours des choses, où c'est l'ordre établi ou le système qui va être responsable du malheur de quelqu'un. Elle n'émane pas non plus du destin, ou tout le monde va spontanément mourir juste à temps pour le final comme c'est malheureusement trop souvent le cas à mon goût. Non, ici c'est le personnage éponyme, Médée, qui va délibérément être responsable et choisir d'infliger le moment dramatique de la pièce. Plus encore que chez Sophocle où Créon applique la sentence d'Antigone assez froidement, on va ici assister aux tourments et aux questionnements de la personne à l'origine même de la tragédie. Assez saisissant.

En bref, Médée est juste succulent, tout ce que j'aime dans le théâtre et la tragédie (tirades iconiques et lyriques), un choc émotionnel fort, un vrai travail de la psychologie des personnages et un twist sur le principe même de tragédie. A lire à tout prix ! Et hâte de voir ce que va faire Anouilh…