Si vous pensiez que la noirceur n'avait pas de nuances, Charles Maturin saura vous convaincre du nombre d'entre elles. Ce livre labyrinthe propose, à l'instar du Moine de Lewis, dont il est l'évident rejeton, une multiplicité d'intrigues pouvant tour à tour dérouter, surprendre, décourager ou faire fantasmer. Malgré une écriture extrêmement fine et alambiquée, bien plus que celle du Moine, celle-ci peine à convaincre de la force du scénario.
L'épisode du tableau qui ouvre la scène est si puissante cependant, qu'elle inspirera à Oscar Wilde -qui n'est ni plus ni moins que le petit neveu de Maturin- son portrait de Dorian Gray. Seulement pour cette inspiration, ne devrait on pas remercier déjà Melmoth ?
S'embarquer dans la lecture de Melmoth, c'est prendre une bure de moine, un bâton noueux, fait de bois solide et ancien et commencer à marcher, une croix gravée sur le front, incarnant quasiment le rôle du Juif Errant.
Le style est en tous points fascinant. La critique ouverte de la société catholique, -Maturin étant protestant Irlandais, natif d'une terre hostile au catholicisme- est si marquée, qu'elle en devient une tapisserie omniprésente aux images qu'emploie l'auteur. Cependant, là où Lewis dépeint dans son Moine le puritanisme en opposition à la perversion de l'homme, Maturin choisit davantage la diabolisation plus sévère encore de l'inquisition et du modèle catholique. Sa priorité de l'écriture et de la critique, frisant le pamphlet, finit par prendre le pas parfois sur l'intrigue. La puissance de certains paragraphes fascinent par leur impact, en mettant en arrière plan la trame narrative, qui souffre par conséquent drastiquement d'une faiblesse de rythme. L'oeuvre s'étalant sur 600 pages (version que Charles Baudelaire a traduit), et NON censurée, devient alors une brique difficile. Lorsque l'ouvrage est terminé, c'est un soulagement, mais l'envie de relire les meilleurs passages critiques devient quasiment obsessionnelle.
Le mysticisme de l'oeuvre est enivrant. Son ambiance ne pêche jamais. Cependant, davantage de concision et de simplicité, à l'instar du Moine dont il s'inspire beaucoup trop, aurait mieux servi une oeuvre puissante, et riche de créativité. La noirceur des oeuvres et des histoires qui n'en finissent pas de s'emboîter les unes dans les autres déroulent un récit qui se referme lentement, parenthèse par parenthèse. C'est encore une fois l'histoire d'un critique virtuose qui compose une oeuvre noire, et, à l'instar de la musique, se perd quasiment dans sa technicité. Les phrases cultes d'une époque révolue s'enchaînent, parfois avec la longueur de paragraphes entiers qui poussent le lecteur à en faire plusieurs essais de lecture afin d'en bien retirer l'essence, aussi délictueuse que délicieuse.
L'on ne compte plus le nombre de fois où l'exclamation "Mais plus personne n'écrit comme ça aujourd'hui...!" accompagnée d'une petite larme, survient au cours de la lecture. Pourrait-on résumer par : émouvant pour le style, éprouvant pour la longueur, fascinant pour l'horreur ?
Oeuvre recommandée dix mille fois, pour le style de l'écriture. Assurez-vous cependant d'être en vacances (d'été) pour pouvoir lire l'oeuvre d'une traite.