Critique de Mémoire de fille

Mémoire d'une fille narre les deux années qui suivent le viol d'Annie D. pour tenter de mesurer les conséquences d'un tel acte sur la vie d'une jeune femme. Le récit est un mélange du point de vue de l'autrice au présent, utilisant le "je" et de la description de cette Annie D, par l'utilisation du pronom "elle". Annie Ernaux justifie ce recours par moment, de même qu'elle essaie d'éclairer la lectrice et le lecteur sur l'intérêt d'un tel exercice.

On comprend dès lors la difficulté, pour ne pas dire l'impossibilité, de puiser dans des souvenirs, douloureux ou non, d'analyser des événements qui se sont produits il y a plus d'un demi siècle, de la crainte de modifier l'ordre chronologique de parcelles de vie sans altérer la restitution à valeur historico-politique d'un tel récit.

Au delà de la très pertinente description des violences sexuelles et sexistes et de leurs conséquences sur la vie d'une jeune fille (troubles du comportement alimentaires, dégradation de la santé mentale, aliénation, aménorrhée, etc. ), ce livre aborde différentes thématiques : l'analyse du mépris de classe subi, le déterminisme social et sa traduction dans les affres de l'orientation scolaire et professionnelle, la mobilisation du souvenir comme outil de soin, etc.

Par ailleurs, Annie Ernaux dépeint la sidération que peut provoquer un comportement violent, et le rapport de domination qui structure, en 1958 et après, le rapport homme-femme. Ainsi, on comprend mieux la difficulté pour l'autrice de poser le terme de "viol" sur ce qu'elle a subi, et son déni mâtinée de stupeur face aux violences des hommes et à l'aliénation complice des femmes de cette été 58.

Dès lors, ce livre est bien plus qu'un restitution d'une trajectoire personnelle dont les productions culturelles consommés et les éléments biographiques balisent l'ouvrage. C'est un récit pertinent d'une histoire ou plutôt d'histoires qui ne sont pas seulement issues de la mémoire d'une fille, Annie D. ou Annie E, mais bien celles que pourraient transposer par écrit la mémoire de fille(s).

8.5/10.