"Mes indépendances" est une anthologie des deux mille chroniques, écrites de 2010 à 2016, principalement dans Le Quotidien d'Oran. Les 182 chroniques retenues, quintessence d'une pensée riche, claire et nuancée, sont remarquables, valent d'être lues, relues et méditées. Kamel Daoud dénonce le régime algérien, les islamistes, les djihadistes, les dictatures arabes ou commente les relations franco-algériennes. Il analyse les révolutions arabes en cours (Tunisie, Égypte, Syrie...), défend la cause des femmes, raconte l'oisiveté des jeunes, leur fuite par bateaux vers l'Espagne, ainsi que l'ennui national.
Entre deux massacres ou attentats, le chroniqueur s'interroge : "Le sujet reste un abîme : comment en est-on arrivé à cette équation où avec du pétrole et du gaz et le plus grand réservoir de jeunes dans le monde, le monde "arabe" est pauvre, violent, sale, pas inventif, fanatique, miséreux au point que le seul amusement sonore est de se faire kamikaze ?"
Les titres de certaines chroniques vous donneront l'envie de plonger dans les 470 pages du volume : "Schéma standard de la dictature arabe" (2011).
"Malheureusement, nous n'avons pas eu un Mandala en 1962" (2013).
"Produits phares algériens : le pétrole, la lutte antiterroriste et l'expérience anti-manifestations" (2013).
"Névrose : les Algériens n'aiment pas ressembler aux Algériens" (2013).
"Le peuple est-il coupable ou victime ?" (2012).
"Peut-on encore oser demander des excuses à la France ?" (2013).
"France-Turquie, dispute entre deux ex-colons" (2012).
"Le FN est le FIS de la France" (2015).
"La question du siècle : que faire des islamistes ?" (2012).
"L'Arabie Saoudite, un Daesh qui a réussi" (2015).
"Pourquoi les islamistes sont-ils angoissés par la Femme ?" (2013).
"Le sort fait aux femmes révèle la liste des peuples maudits" (2015).
"Je rêve d'être Tunisien" (2011).
"Un rêve tunisien dans le cauchemar "arabe"" (2014).
Dans sa préface, Sid Ahmed Semiane précise que Kamel Daoud s'est affranchi peu à peu de toutes les valeurs-boulets qui peuvent empêcher de penser librement : le village, la famille, la religion, l'Histoire". Il "transgresse le récit national de la guerre de Libération". Un déluge d'insultes le prend pour cible : "harki"... "apostat"... "sioniste"... "hérétique"... "agent de la France"... "suppôt de l'Occident"... "L'insulte suprême reste celle de la trahison".
Kamel Daoud raconte quand ses inhibitions sur des sujets tabous ont lâché prise : "Les Français sont partis depuis très longtemps, mes maîtres d'école ne sont plus là, je suis libre, je peux écrire comme je veux, personne ne me surveille, cette langue est mon intimité et mon champ de dissidence. Ce fut un moment de soulagement presque physique, sensuel. J'y ai gagné ce délice permanent de l'écriture, cette jouissance sans fin d'exercer une liberté absolue et amusante."
L'humour n'est jamais loin derrière le sérieux des analyses. La chronique "Ce pour quoi je vais être président de ce pays" se termine ainsi : "Le seul moyen de vivre dans ce pays c'est de le construire, et le seul moyen de le construire, c'est d'en être le président et faire ce travail de maçon que ne savent pas faire les anciens combattants. Je serai président à cause de mon désir d'avoir une maison."