Quel charmant roman ! Il faut certes s'armer d'un peu de courage pour ouvrir ce classique de la littérature anglaise tristement méconnu en France (car un livre de plus de mille pages — une longueur peu extraordinaire pour l'époque — peut lasser avant même d'avoir été feuilleté), mais une fois passé cet obstacle surmontable se développe une vive loyauté envers les mots de l'auteur, si bien qu'il est tout à fait impossible de sauter ne serait-ce qu'une ligne (c'est, croyez-le, un fait prodigieusement inexplicable).
C'est que ces mots dépeignent avec délicatesse la vie de personnages attachants, échantillons de provinciaux dans une Angleterre agitée par des révolutions industrielles, sociales, politiques, religieuses même. Jamais l'écrivain ne condamne les paroles impudentes ou les agissements malhonnêtes des habitants de Middlemarch et de ses environs, mais s'efforce plutôt de les justifier : ce ne sont que des hommes et des femmes pleinement humains, sujets aux aléas de l'existence et aux désirs — déraisonnables, quelquefois — de l'âme. Ces nombreux personnages offrent donc une agréable diversité d'actions, de pensées, d'humeurs.
Le texte est, lui, d'une grande clarté malgré de longues phrases et descriptions ; et puis, il y a des épigraphes si obscures (parfois — pour ne pas dire souvent — des citations inexactes) qu'elles se décryptent comme des énigmes. Aussi, l'érudition de l'auteur (qu'elle semble afficher éhontément — et contrebalancée par l'imbécilité de quelques personnages) satisfait pleinement la soif de connaissance de certain lecteur : l'intérêt historique du roman n'est pas négligeable et les problèmes sociaux abordés dans le texte font écho aux nôtres, notamment lorsque Fred Vincy, insouciant jeune homme, fuit devant les responsabilités de l'âge adulte. Et n'oublions pas les histoires d'amour qui jalonnent ce classique d'un bout à l'autre, toutes poignantes à leur façon (et empreintes d'une préciosité qui sait plaire aux plus romantiques). Oui, c'est incontestablement une lecture de haute qualité.