Ayant été ado au début des années 2000, Eugenides représente pour moi un de ces mentors inavoués, un spectre qui veille à développer ta sensibilité, ou en tout cas à la développer loin de ton groupe social direct.
Bon ok, c'est surtout grâce à Virgin Suicides et à la vision qu'en a eu Sofia Coppola, parce qu'Eugenides a complètement disparu de mon horizon jusqu'à ce que j'ouvre Middlesex quelques vingt années après.
Il y avait une excitation certaine à ouvrir ce roman, plongé dans l'histoire d'un hermaphrodite dont je ne connaissais absolument rien, à part qu'il avait permis à son auteur de gagné le prix Pulitzer en 2003. Quelques essais absorbés sur le genre, sur les féminismes et sur l'autre révolution sexuelle propre à l'entrée dans les années 2020, je me suis donc tenu prêt à recevoir.
Calliope est née sans testicules apparentes et de ce fait a été perçue, élevée et confortée dans l'idée qu'elle est née fille dans les années 60. Ce n'est qu'à l'adolescence que va (re)naître Cal, Calliope prenant conscience (malgré lui) de son corps à ses dépens, comme un aventurier sans boussole.
Le narrateur (qui n'est autre que Cal/Calliope) décide de remonter plus loin dans son histoire, faisant revivre les fantômes de ses ancêtres, donnant au roman une dimension de saga familiale qui part de la Grèce du début du XXe siècle. Grèce oblige, l'histoire est teintée de mythologie, tout est matière à tragédie ou comédie, faisant rentrer ses comédiens intervenant parfois tels des Deus ex machina, et c'est avec un plaisir non feint qu'on poursuit l'arbre généalogique de Cal.liope, parsemé de dieux et de personnages mythologiques, d'étymologie et d'exil aux États-Unis, plus précisément à Détroit, au début des années 20.
Middlesex ne permet pas de se rendre uniquement compte de la construction d'identité sexuelle, elle va plus loin ; identité biologique, historique, façonnées par nos gènes et notre passé. Pour aller de l'avant dans la vie, il faut souvent emprunter aux ancêtres des morceaux de leur histoire et ce roman nous le fait bien comprendre.
C'est un véritable pavé coup de coeur, 667 pages (je sais pas si c'est fait exprès) d'intense lecture qui nous fait passer par tous les états.
Si l'adulte Cal m'a laissé un peu indifférent, j'ai retrouvé l'empathie éprouvée pour les soeurs Lisbon de Virgin Suicides. Si Stephen King est un maître des terreurs enfantines, Eugenides est une des véritables voix de l'adolescence, ou en tout cas du caractère insaisissable de l'adolescence, que beaucoup trop nombreux d'entre nous cherche à expliquer.
Fort heureusement le fil d'Ariane n'est pas si droit qu'il en a l'air et donne lieu à des interventions inexpliquées qui nous permettent à tous d'avoir notre propre vie.
C'était absolument fabuleux si tu veux tout savoir.