Je n’aime pas juger une intrigue (je suis d’avis que l’auteur écrit ce qu’il veut, à partir du moment où c’est bien fait), MAIS (Vous la sentez venir ma grosse prétérition ?), je trouve difficile de s’attaquer à des sujets de société, car le risque est de s’effacer derrière eux, et ici c’est le cas. J’ai un peu la même impression qu’avec Soleil amer, celle de ne pas lire un roman, mais une sorte d’article romancé. (il n’y a pas d’ambiance, pas de description. On a l’impression de toujours être en mouvement, de ne jamais se poser pour instaurer quelque chose. Certes, au départ, ce sont des personnages qui racontent, ce serait étrange qu’ils décrivent ce qu’ils voient, mais la narration passe à la 3ème personne à la moitié, et c’est la même chose). Un autre problème, c’est qu’il y a encore beaucoup de clichés littéraires (beaucoup beaucoup beaucoup, même, entre un et trois par phrase, je ne vais pas les relever comme pour L.Hassaine, vous voyez l’idée). Alors, certes bis, ici, la différence, c’est que c’est les personnages qui parlent (donc ils n’ont pas à se soucier de la langue, a priori). Mais dans ce cas-là, pourquoi utilisent-ils des expressions françaises « à côté de ses pompes », « haute comme trois pommes » « saoul comme un cochon », etc ? Ça brise l’illusion romanesque ! C’est comme par exemple quand tous les personnages allemands parlent en anglais dans un film sur la deuxième guerre mondiale… Pareil avec l’image de l’albatros qui revient plusieurs fois. C’est une référence française, pas américaine (il y a aussi la madeleine de Proust, mais celle-ci s’est exportée me semble-t-il). Les différents protagonistes ont les mêmes tics de langage, « qui pis est » par exemple. Ça donne à ces voix censées être différentes un côté très artificiel, l’épicier parle comme l’ami qui fait le con, l’amie d’enfance parle comme l’ex, l’instit’ comme l’étudiante. C’est dommage parce que la pluralité de voix est une bonne idée. Mais je ne vois pas leur unicité.


J’ai l’impression de traverser l’Amérique que je connais, qu’on connait tous à cause de la pop culture : American dream impossible, guerre du Vietnam, Woodstock, Angela Davis, les ghettos, la drogue, le campus,j’ai l’impression d’être devant le générique d’un biopic en route pour les oscars. Ici, je trouve les situations très stéréotypées : l’épicier d’origine pakistanaise, le « poulet Kentucky », la pauvreté avec seul le sport universitaire comme issue pour les personnes noires. Comment il perd sa couleur devant le succès, difficulté de couple mixte (O.J. Simpson ou Tiger Woods). Je sais que c’est une réalité… Mais je vois dans la littérature la possibilité d’ouvrir d’autres portes… (et de créer de nouveaux stéréotypes sur le long terme, mais c’est une autre question :D) Donc c’est dommage de voguer de stéréotypes en stéréotypes, ça donne un peu l’impression d’être bloqué devant 3-4 épisodes de Cold Case (PS : changer mes références).


Pareil, certains passages sont maladroits, par exemple quand l’étudiante parle de ses camarades « habillées comme des travailleuses du sexe », je veux bien qu’elle ait tellement intégré le slutshaming qu’elle le perpétue, mais ça ne colle pas, ça ne lui ressemble pas, puisqu’elle a l’air assez féministe quelques pages plus loin. Ou quand l’amie d’enfance évoque le concept de « angry black woman », je trouve que c’est mal intégré dans le texte, comme si on voulait à tout prix l’y inclure, mais sans le travailler. Ça ne suffit pas de le dire, encore faut-il le mettre en scène, sinon, ça fait pot-pourri, ou grille de bingo. Et quand je vois la bibliographie à la fin, je me demande si ce n’est pas le risque de faire trop de recherches, le côté exposé…


Et puis, cet homme que tout le monde aime, dont les filles sont amoureuses, les institutrices fières, ben il m’ennuie. Y a pas de crasse, rien à gratter, (et comme on sait dès le départ comment ça va terminer, y a pas énormément d’enjeux…).


Pour revenir à ce que je disais, je pense que c’est le souci d’écrire des livres trop dans l’actualité : on ne prend pas de recul, on ne peut être que dans l’hagiographie (au pire) ou la contextualisation (au mieux), on laisse la fiction de côté. On ne peut pas essayer d’expliquer (l’écrivain est un avocat). Et en tant que lectrice (et en tant qu’autrice), j’aimerais lire des livres qui me mettent mal à l’aise : ça aurait pu être intéressant quand il prend le point de vue du flic, de nous le rendre compréhensible, qu’on embrasse notre noirceur, qu’on soit choqué, qu’on se questionne (« est-ce que je serais capable de faire ça ? et pourquoi oui, et pourquoi non ? »), il y aurait eu plus de prise de conscience je pense que d’en faire un con raciste et sexiste. Ou de faire d’Emmet un salaud. La police ne devrait pas tuer, point. Ça aurait pu être bien. Ici, on se donne bonne conscience, moi je lis ce en quoi je crois, mais du coup, je m’ennuie, je ronronne.

YasminaBehagle
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le 20 oct. 2021

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