Emmet est mort comme George Floyd, cet afro-américain étouffé par le genou d’un policier blanc en mai 2020. Avant que n’aient lieu ses funérailles, suivies d’une marche de protestation, les témoignages de ceux qui l’ont connu et apprécié – son ancienne institutrice, ses amis d’enfance, ses ex-compagnes et son coach sportif – évoquent tour à tour le terrible parcours de cet homme issu des ghettos noirs de Milwaukee. Elevé par une mère stricte et pieuse, Emmet obtient une bourse et accède à l’enseignement supérieur grâce à ses exceptionnels talents de footballeur. Mais un accident anéantit ses projets et le renvoie à la précarité de son quartier déshérité. Il y végète sans espoir, en cumulant les petits boulots, jusqu’au drame, vingt ans plus tard…
D’Emmet Till, adolescent noir lynché en 1955, à George Floyd, assassiné en 2020, le personnage fictif au coeur de ce récit permet très symboliquement à Louis-Philippe Dalembert de faire entrer en résonance soixante-cinq ans d’Histoire raciale américaine. L’auteur ponctue son texte de mille références historiques et musicales, autant de témoins du long chemin entamé depuis l’époque du mouvement américain des droits civiques. Il s’appesantit sur ces véritables culs-de-basse-fosse que sont ces quartiers noirs américains dont on ne s’extrait quasiment jamais, discrimination raciale et fracture sociale entretenant désespérément leur engrenage de roue et vis sans fin. Malgré tout, au vu des mouvements de protestation et des mobilisations de plus en plus visibles, individuelles ou collectives, auxquelles il rend maints hommages dans son roman, il se prend à espérer qu’advienne un jour où les Emmet Till et les George Floyd feront enfin partie d’un passé révolu.
La thématique et la portée du texte, la richesse de ses références historiques et culturelles, ainsi que l’originalité du parti-pris narratif, ont indéniablement de quoi emporter tous les suffrages. Et même si, dans son souci de pondération et de maîtrise de l’émotion, le récit semble parfois peiner à s’incarner, notamment dans la succession un peu monotone et répétitive des monologues des différents personnages, un peu semblable à une série de dépositions dans un procès, il impressionne par sa capacité à prendre du recul et à ouvrir des perspectives sur un sujet encore sous le choc de l’actualité.
Ce roman documenté et soigneusement mesuré traite son sujet avec intelligence et sérieux. Il nous en livre une mise en perspective lucide et néanmoins pleine d’espoir, utile et nécessaire, qui justifie pleinement l’effort de sa lecture.
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