Mithridate est une des pièces de Racine où l’intrigue politique est aussi importante que l’intrigue amoureuse, avec Britannicus et Bérénice. Elle est à mon avis supérieure à ces deux pièces, car elle ne souffre pas comme dans la première de la fadeur du personnage éponyme, ni comme la deuxième de l’absence d’action. J’aurais peut-être aimé plus de politique et moins d’amour, car Mithridate, Xipharès et Pharnace sont plus convaincants en guerriers qu’en amants. Dans les grandes scènes politiques (Acte III, scène 1 ; la dernière scène), j’irai jusqu’à dire qu’il y a du Shakespeare dans Racine, ce qui est loin de me déplaire : la mort de Mithridate sur scène est un très grand moment.
On retrouve dans cette pièce trois personnages impressionnants : Mithridate est le grand roi résistant aux Romains, aussi légendaire qu’Hannibal, Vercingétorix et Spartacus ; la scène 1 de l’Acte III est une très grande scène politique, parmi les meilleures qu’ait produites notre théâtre (qui a surtout produit de grandes scènes d’amour), de même que la dernière scène, sa mort sur scène, le montre dans une grandeur peu commune ; il a aussi une passion dévorante, qu’on retrouve dans ses deux monologues. Monime est le personnage féminin, complexe et tragique, dont la passion, bien que pas exprimée avec autant de hauteur que celle d’Hermione, de Phèdre ou de Roxane, anime une partie de la pièce. Xipharès est le prince loyal et juste, mis en péril par son amour, à cause de la rivalité avec son père et son frère ; il est la loyauté et la justice mises à l’épreuve, et dont le triomphe est présent sur scène, bien que relatif car il doit s’exiler pour fuir les Romains.
Que dire du vers racinien qui n’ait pas déjà été dit ? Toujours égale à lui-même dans sa cadence et sa sublime harmonie. On ne trouve pas autant de vers célèbres que dans Andromaque, Phèdre ou Britannicus, mais on est toujours mené au fil des vers par cette douceur violente qui nous enchante. Est-ce une pièce mineure de Racine ? Peut-être. Mais elle mérite d’être lue.