Le recueil d’Alexandre Gouttard approche la poésie par ses creux et refuse ce que poétique signale d’ordinaire. Il cherche à le redéfinir personnellement à travers son parcours d’enfance, les débris présents. La poésie comme les copeaux…
moi moi moi et les petits oiseaux, premier recueil d’Alexandre Gouttard, interpelle d’abord par son titre, le sens en est approché dans la dernière partie du livre :
« il y a ce reproche comme de la rouille sur mes os, ma langue : Moi moi moi et les petits oiseaux qu’elle avait dit, l’institutrice de mes premières classes, alors que je tentais de lui réciter un poème sur le thème qu’elle nous avait imposé. »
LA ROUILLE DE L’ÉCRIT
Si Gouttard ironise sur la posture du poète (inspiré), son orgueil, son narcissisme, il marque également, à travers le souvenir personnel, l’effet des intuitions sur l’écriture. Ce que se permet ou non l’élève (futur adulte) sous le regard soustracteur (scolaire). Depuis cette boutade de l’institutrice, qui donne donc son titre au livre, une méfiance (une rouille) pèse sur l’activité poétique dont le cœur sera dès lors d’interroger ce qui peut être considéré comme poétique. Méfiance critique de l’éloquence, du lyrisme aussi, les poèmes dès lors se posent sur les objets les plus triviaux – non plus les colombes, les tourterelles, mais une plume ensanglantée sur une fenêtre, ou la chassie au bord des yeux :
une fois ça m’a fait penser à
ces petites crottes de larmes (on en a parfois dans le coin
des yeux, au matin je ne sais pas
quelque chose comme de lait d’œil caillé les chiens
en ont aussi, peut-être tout ce qui a
comme on dit des yeux pour pleurer) ma mère
essuyait ça
Plusieurs définitions seront avancées, toujours insuffisantes, pour pallier cette rouille initiale ayant contaminé le geste poétique. Tentative de définition donc ; perception de la poésie et du poème comme MST [Maladie Sexuellement Transmissible] ou une poubelle qui brûle ou encore un squat nocturne… À l’ère du tout marchandise, le poème ne pouvant être marchandisé, ou si difficilement, il est une cachette, un refuge, peu fréquenté, car hors de la marchandisation du monde. Un espace, isolé, où l’entre pour ensuite le refermer derrière soi.
ces parcs de nuit où il y a des bières, de l’herbe et du noir où
parler,
où l’on entrait par des tours cachés dans le grillage
et que chacun refermait en partant pour qu’ils restent cachés
ô poésie
SUBLIME DU MÉDIAN ET DU MINUSCULE
Il ne s’agit pas ici de magnifier l’acte poétique, bien plutôt d’en cibler un certain signe que nous ne percevrions pas, a priori, comme poétique. La poésie s’immisce ainsi dans les plus petits détails, les manifestations les plus banales – se lisant toujours en creux, au travers de ce jeu subtil et sarcastique du sabotage littéraire. La poétique d’Alexandre Gouttard, où ce qui nous y semble manifestement auto-réflexif, se projette sur et dans des objets mineurs au premier abord : des mégots, de la salive, des poubelles qui brûlent, des copeaux…etc. Tout ce qui, plus ou moins, constitue notre décor quotidien. Ainsi les poèmes qui nous sont ici proposés ne figurent rien d’autres que des fenêtres boueuses, des débris s’ouvrant sur des fractions et des instants fugaces.
toi aussi
pose l’outil et passe les mains dans la douceur
des copeaux
Les copeaux placent l’écriture sous le régime de l’artisanat, de la recherche lente ; restes de vécus qui ne sauraient apparaître sans l’activité quotidienne. Il y a, dans ce premier recueil, ce qu’on pourrait appeler un sublime du médian et du minuscule.
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