Quel curieux livre que ce petit poche d'à peine 200 pages. L’écriture, tout d'abord : la prose de Jacqueline Harpman est des plus singulières, toute en virgules, phrases interminables et tournures bizarres. On a ainsi l'impression de haleter, de lire trop vite ou de s'essouffler. C'est d'autant plus curieux que l'histoire, originale pour le moins, se déploie lentement. Il n'y a pas de temps fort, pas d'action pour justifier cette sensation d'urgence que transmet l'écriture. Rien de rédhibitoire à la lecture cependant car l'histoire vous happe, par son ambiance, sa mélancolie, son inexorabilité.
40 femmes, arrachées à leurs vies à la suite d'une catastrophe (dont on ne saura rien) se retrouvent enfermées dans une cage souterraine, maintenues en vie par des gardes muets et impassibles qui subviennent à leurs besoins élémentaires. A la suite d'un événement inexpliqué, les geôliers disparaissent et les captives retrouvent la liberté. Elles vont alors chercher à regagner la civilisation.
La narration est faite par la plus jeune d'entre elles, trop jeune pour se souvenir de quoi que ce soit d'avant la catastrophe. Son horizon est la cage, les rituels quotidiens et ces femmes placides, éteintes qui ne veulent pas lui parler "d'avant". Cherchant une logique et des explications, elle tentera de redonner un sens à la vie de ces femmes après leur fuite inespéré. En vain.
Sans vouloir dévoiler le cheminement du roman, ne vous attendez pas à une fin heureuse. Ni satisfaisante. Le roman repose sur son ambiance, sur les yeux d'extraterrestre de cette fille qui ne sait pas à quoi ressemble une vie "normale" et qui ne le découvre que par miettes. "Moi qui n'ai pas connu les hommes" pose énormément de questions et n'en satisfait aucune. Le contexte, le développement, la fin... Tout est étrange, oppressant, sans la moindre logique. On a beau chercher, on n'est pas plus avancé que la narratrice sur le pourquoi de la cage, des 40 femmes, des geôliers et de ce qu'elles vont découvrir une fois à la surface. On ne saura même jamais si elles sont sur Terre ou ailleurs. Et on refermera le livre sans en savoir plus, mais mélancolique et bouleversé ce qui n'est pas si mal en fin de compte.