Moi qui n'ai pas connu les hommes par Reka
Il y a dix ans, la lecture (scolaire) de "La plage d'Ostende" m'avait été imposée. Elle m'avait arraché tant de soupirs que j'avais fini par estimer ma souffrance suffisante avant d'en arriver à bout : j'avais lu le tiers du roman et m'étais dit qu'on ne m'y reprendrait plus !
J'étais encore fermement résolue, il y a peu de temps, à ne plus me piquer à la prose de Jacqueline Harpman jusqu'à ce qu'un collègue me vante les charmes de "Moi qui n'ai pas connu les hommes"...
Le roman m'a paru lent, répétitif, prévisible et tristement inexpressif. Je n'ai pas cessé d'y trouver des analogies avec "La route" de Cormac McCarthy : dans les deux œuvres, les personnages principaux progressent dans un paysage si désolant qu'il évoque l'Apocalypse... Mais quelle force n'a pas le roman de Harpman, face à celui de McCarthy qui charrie avec puissance les émotions et la peur du petit et de son père...
Le terme qui me semble le plus approprié pour parler de "Moi qui n'ai pas connu les hommes" est sans aucun doute "aseptisé". S'il arrive aux protagonistes de rire ou pleurer dans ce roman, je n'ai jamais éprouvé l'envie d'en faire autant. L'auteure dit l'émotion et jamais ne contribue à la faire ressentir : lorsque les femmes sont enfermées dans la cave durant le premier tiers du roman, je n'ai pas même éprouvé une vague impression d'oppression !
Le style de Jacqueline Harpman est laborieux, parfois ampoulé à l'aide de subjonctifs imparfaits ou plus-que-parfaits dont l'utilisation m'a, ici et là, rendue quelque peu perplexe...
« [...] je me sentais traitée avec mépris, comme si j'eusse été incapable de comprendre les réponses aux questions — peu nombreuses, pourtant — que je posais et je résolus de ne plus accorder aucun intérêt aux femmes. »
Mais, indépendamment de la forme, ce roman a généré d'autres frustrations : dès le départ, l'auteure soulève nombre de questionnements pour lesquels elle ne donne aucune réponse.
Elle touche aussi à des sujets de réflexion (la condition humaine, la vie en société, la dignité, la promiscuité, l'euthanasie, ...) qu'elle pourrait creuser abondamment puisque l'intrigue de son livre est somme toute extrêmement dépouillée, mais qu'elle ne fait jamais qu'effleurer !
Bien que sa fin offre un joli dénouement, je n'ai, dans l'ensemble, témoigné à ce livre qu'un intérêt très mitigé. La monotonie de la narration, le vague survol des pistes de réflexion et la froideur/désaffection de la narratrice m'ont un peu laissée sur ma faim. J'avoue n'avoir pas trouvé où se trouvait le nectar de ce livre, cette essence qui ravit le lecteur et le pousse à nous en faire valoir les mérites... J'en suis triste parce que quelque part entre "La route" et "La servante écarlate" (M. Atwood), j'avais pensé, avant de m'y plonger, que ce roman serait peut-être plein de promesses...