Clay est un mec cool.
Tellement cool qu'il ne se sépare jamais de ses lunettes de soleil, car elles l'aident à cacher son regard vitreux et perpétuellement meurtri.
Tellement cool qu'il ne manque de rien, encore moins de quoi se payer une bonne défonce dès qu'il le souhaite.
Tellement cool qu'il connaît tout le monde, au point de ne plus vraiment savoir qui sont ses amis, ni les personnes qui comptent réellement pour lui, s'il en est.
Tellement cool et prompt à sortir dans tous les clubs branchés de la côte ouest, qu'il ne moufte même plus face aux horreurs auxquelles il assiste parfois : agressions sexuelles, snuff movies, overdoses, et meurtres.
À 18 ans, Clay est tellement cool que plus rien ne l'atteint. Et ça le rend malade.
Premier bouquin du très sulfureux Bret Easton Ellis, Moins Que Zéro est l'exemple parfait d'une première œuvre où s'exprime déjà tout l'ethos d'un romancier: Ellis y aborde un grand nombre des thèmes qu'il étaiera bien plus tard dans American Psycho, et adopte déjà cette plume désenchantée et froide qui fera plus tard sa renommée.
Au travers de Clay, ce beau gosse désabusé et taciturne pour qui le retour au bercail ressemble plus à une descente aux enfers qu'à des vacances, Bret Easton Ellis rend compte avec beaucoup de précision du spleen et du sentiment d'autodestruction qui gangrènent les quartiers huppés de Los Angeles. Ces voisinages coquets où les mômes possèdent tout, des fringues les plus chics jusqu'aux inscriptions dans les meilleures facs, mais se débrouillent pourtant pour crever dans les caniveaux : terrassés tant par la came que par leur cruel manque d'ambition.
L'intrigue est courte, resserrée sur une période d'environ un mois. On y suit essentiellement les errances de Clay, ses déboires avec des amis qu'il ne reconnait plus, son impossibilité à exprimer ce qu'il ressent à sa famille, à son psychiatre. On est embarqué également dans les souvenirs d'une époque pas si lointaine où il conservait encore un peu d'innocence.
Si le postulat du roman tourne rapidement en rond malgré sa brièveté, la manière dont Ellis parvient, à plusieurs reprises, à faire surgir des images d'une violence inouïe lors de scènes à priori anodines, reste prodigieuse.
On pense à la séquence, peut-être la plus mémorable du roman, dans laquelle un snuff movie est diffusé lors d'une fête, ou bien encore à l'un des derniers chapitres du roman, dont on ne dévoilera rien ici.
Tout comme dans American Psycho, Ellis présente ici aussi une sorte d'"Amérique-cannibale" : une société où le capitalisme et la superficialité écrasent tant les individus, que ces derniers cèdent aux comportements les plus vils afin d' éprouver une sensation singulière. Une sensation qui les extirperait d'un monde devenu lisse et aseptisé en tous points.
Là où les jeunes de Moins Que Zéro cherchent vainement un échappatoire à l'autodestruction, Patrick Bateman, dans son building rutilant où les rapports humains ont quasiment disparu, commet les pires atrocités.
Il espère qu'elles déclenchent en lui un sentiment encore jamais éprouvé.
Dans Moins Que Zéro, ce n'est pas le récit qui importe, car il n'est, peu ou prou, qu'une version plus noire et sordide de L'Attrape Cœurs.
Ce qui impressionne ici, chez Bret Easton Ellis, c'est cette acuité à discerner les maux profonds de la jeunesse des 80's.
Ceci, alors qu'il écrit et publie ce roman… tout juste plus âgé que son protagoniste.