Tova Reich semble avoir des comptes à régler avec son ex-mari, le directeur du musée de l’Holocauste de Washington. Mais lorsqu’un règlement de comptes aboutit à un roman si drôle, on en vient à penser que les scènes littéraires de ménage ne sont pas condamnées à l’impasse Trierweiler ! Avec une liberté de ton inconcevable sous nos latitudes, l’auteur nous raconte l’univers d’hypocrisie et de chantage moral dans lequel évoluent Maurice Messer, qu’on devine être la caricature de son mari et qui s’est construit une légende de résistant anti-nazi montée de toutes pièces, et son fils Norman, qui dirige une firme très rentable, Holocaust Connections Inc, dont le slogan est : « Faites de votre cause une Holocauste ». Il aime à le répéter : « Le fait est que nous sommes plus humains que les autres à cause de ce que nos parents ont enduré. » Ils sont entourés de Monty Pincus, un « rabbin à temps partiel », assistant de Maurice et prêt à toutes les crapuleries pour remplir les caisses du musée, et par Krystyna, une Polonaise désabusée. Le clan Messer fait fortune sur la mémoire de la Shoah, quémandant des dons astronomiques à de vieilles milliardaires culpabilisées en échange du « titre officiel de Survivante honorifique, avec tous les droits et privilèges afférents » et faisant passer leurs notes de frais dispendieuses sur les fonds du trésor public.
Tout se passe bien jusqu’à ce que Nechana, la fille de Norman, se convertisse au catholicisme et entre comme nonne dans un couvent carmélite sis à Auschwitz, à quelques centaines de mètres du camp de concentration. Dès lors, les problèmes s’enchainent sur un ton burlesque jusqu’à l’attentat final contre le musée de Washington, mené par la « coalition arc-en-ciel Holocauste unis », un groupuscule universaliste qui dénie au génocide juif son statut de monopole et réclame la reconnaissance, entre autres, de l’holocauste des Tibétains, des femmes battues et des animaux traqués pour leur fourrure. « Nous n’oublierons jamais ce que nous devons au travail de pionnier du peuple juif pour ce qui est de l’utilisation innovante et conceptuelle des statuts de victime et de survivant » explique un des terroristes. Le roman pêche certes par quelques longueurs et pas un humour noir parfois un peu trop appuyé par moments mais on n’avait jamais lu encore de comédie aussi féroce sur ce thème délicat du Shoah-business dénoncé sur un mode plus sérieux par Norman Finkelstein. Une satire résolument incorrecte, à manier comme de la dynamite.