Quatre ans après Un certain M. Pikielny, François-Henri Désérable livre une histoire d’amour entraînante pleine de littérature et d’humour.
A lire Mon maître et mon vainqueur, et sans avoir encore lu les remerciements, on ne peut s’empêcher de penser à l’admirable Article 353 du Code pénal de Tanguy Viel (auteur ayant lui aussi répondu présent à cette rentrée littéraire). Un homme y était interrogé par un juge, dénouant les fils d’une intrigue et revenant sur les zones d’ombre d’un drame. Reprenant la même structure, François-Henri Désérable opte pour une histoire plus légère, une histoire d’amour.
Vasco rencontre Tina, comédienne, grâce au narrateur. Entre les deux, c’est le coup de foudre. Mais Tina, sur le point de se marier à Edgar, déjà mère de deux enfants, résiste tant bien que mal à la passion. Rendez-vous à l’hôtel, à la Bibliothèque nationale de France, mensonges rythment le quotidien de Tina jusqu’à ce qu’Edgar découvre toute l’affaire.
On sent tout l’amour que François-Henri Désérable porte à son histoire, qu’on dirait inspirée de faits réels, et aux lieux communs des histoires d’amour. « Elle n’était pas du tout son genre ; il n’avait jamais été le sien. Ils n’avaient rien pour se plaire ; ils se plurent pourtant » ? Aurélien d’Aragon. Ou encore cette scène que l’on a vue cent fois dans les films : les deux amoureux, emportés par le désir, débarrassent d’un coup de main une table pour y faire sauvagement l’amour. Mais ici, dans Mon maître et mon vainqueur, Tina et Vasco sont subitement pris de désir à la Bibliothèque nationale de France, alors que la table est occupée, entre autres, par une Bible de Gutenberg et les épreuves corrigées des Fleurs du mal. Et les deux amants en puissance de ravaler leur ardeur et de ranger tranquillement ces livres précieux.
Si Mon maître et mon vainqueur fonctionne si bien, au-delà de son humour, c’est que Désérable comprend et analyse tous les tourments amoureux, tous les nœuds que la passion fait au cerveau. Comme Désérable le dit lui-même, « le bon romancier doit avoir à l’égard de ses personnages le cœur tendre et l’œil dur ». La tension qui parcourt le roman, si elle retombe un peu dans la dernière partie, transmet de manière juste les atermoiements et les questionnements de deux personnages amoureux.
« Elle et lui se connaissaient depuis bientôt deux mois maintenant, et j’étais devenue le confident de l’un et le confesseur de l’autre, l’historiographe de leur amour ; car c’était bien d’amour, qu’il s’agissait – des vertiges enivrants de l’amour en ses débuts : les veilles des jours où ils devaient se voir leur étaient délectables par les lendemains qu’elles promettaient, et les lendemains des jours où ils s’étaient vus par les souvenirs de la veille. Et si Vasco s’employait à rester léger, vaguement indifférent, feignant de n’éprouver pour Tina qu’un désir incertain, tout, dans l’inflexion, dans le modelé de sa voix, s’altérait quand il me parlait d’elle – or elle était son unique sujet de conversation, sa seule obsession, il n’avait à la bouche que le prénom de Tina dont ce jour-là c’était l’anniversaire. »