Quelle surprise. Quelle phénoménale stupéfaction. Lire du Roald Dahl à 19 ans pour se rendre compte que l’écrivain de toute une jeunesse est auteur du roman sans doute le plus indécent, égrillard, scabreux, cru, grivois et libidineux de toute la littérature non-pornographique. Qu’un auteur puisse à ce point passer d’un extrême à l’autre, du récit de la visite extasiante d’une usine de chocolat à celui d’un grand explorateur de la fesse ourdissant de crapuleuses et perverses machinations pour s’enrichir.
Récapitulons donc. Le jeune Oswald Cornelius raconté par lui-même dans ses mémoires exhumées par son cher neveu (waaah, c’est déjà compliqué) est encore adolescent quand à l’aide d’une poudre aphrodisiaque extraite d’un moustique africain, il devient riche. Insatisfait de ces 100.000 (vieux) francs, il met au point une combine infaillible : récolter, à l'aide d’une allumeuse de sa connaissance et du savoir scientifique d’un de ses professeurs, le sperme de célébrités du monde entier dans le but de concevoir une banque du sperme (grassement vendu) entièrement fournie par lesdites personnalités. Finalement escroqué, il lance la production industrielle de ses premières expériences aphrodisiaques pour devenir multimillionnaire.
Passons sur l’irrégularité des péripéties, l’aventure des premières pilules occupant le premier tiers du roman, les deux autres se consacrant à la grande entreprise de banque du sperme. D’une certaine manière, les dimensions de chaque entreprise rendent même ce déséquilibre parfaitement logique. Rien en effet, pas même un style qui pourrait s'avérer soporifique (ce qui n'est même pas le cas), ne saurait gâcher la force majeure de ce roman : son humour.
La quasi-totalité de Mon oncle Oswald constitue un roman comique. D’inénarrables situations toutes plus scabreuses les unes que les autres donnant une sexualité complètement folle et déchaînée aux plus hautes branches de la société (ambassadeurs, artistes reconnus, rois et consorts), contées d’une légèreté débridée ne manquent pas de rendre chaque situation, aussi anodine soit-elle, plus hilarante que jamais. Systématiquement les limites de l’obscène et du scabreux sont repoussées pour nous offrir des tranches de rire plus mémorables les unes que les autres. On reprochera à Roald Dahl de finalement traîner sur les pérégrinations de son héros Oswald et sa comparse Yasmin en Europe lors de leur quête de récolte de sperme, qui finit par raréfier l’hilarité de son lecteur.
Mais comme si cela ne suffisait pas, derrière ces aventures grassement réjouissantes se cache d’intelligentes réflexions sur l’acte sexuel. Au travers du récit de l’expérience en la matière de plusieurs personnages se dessinent plusieurs schémas et plusieurs « méthodes » fantaisistes de l’acte, et donnent une vue d’ensemble relativement exhaustive de la sexualité, sans jamais tomber dans le discours graveleux ou totalement crasseux et obscène. Roald Dahl met de plus en scène de nombreuses grandes figures historiques dans leur propre intimité, par le biais du personnage de Yasmin, jeune femme lubrique dont « toute [la] personne baignait littéralement dans le sexe », séduisant et forniquant à l’envi. Picasso, Einstein, Freud, Proust, Stravinski, rois de l’époque, aucune figure majeure du début du siècle n’y échappe, leurs lubies sexuelles et leurs méthodes mises à nu sans vergogne. Glorification ou ridiculisation du caractère classique du génie ou de la célébrité, c’est selon le personnage concerné. Dans tous les cas, panégyrique du plaisir sexuel par un discours non pas immoral mais amoral ; Roald Dahl réalise avec Mon oncle Oswald un coup de maître dans la littérature, un grand cri de protestation contre la morale autant de son époque que de celle de la période embrassée par le récit.
Un léger regret ? Oui... Que la grande aventure du jeune Oswald et de ses deux associés ne soit au final qu'une parenthèse pour arriver à une conclusion trop rapide sur le pas final vers sa fortune, presque un prétexte pour se livrer à son analyse du gratin de la crème de la crème (j'ai faim) des artistes/savants européens. Un dénouement express en comparaison de son périple européen ; cent cinquante pages contre une et demi à peine. Prenons cela comme une espèce d'épisode "filler" hilarant, mais cela cache une part de déception.
À présent je ne puis plus penser à cet auteur sans m’évoquer toute une scène. Une mère se rendant compte trop tard qu’elle vient de lire à sa douce progéniture friande de Matilda ou de Bon Gros Géant innocemment installée dans son lit le mot « fornicateur » avant de refermer précipitamment Mon oncle Oswald et de souhaiter un bonne nuit empressé et horriblement gêné à un pauvre enfant frustré d’une si courte séance de lecture vespérale.