Dans l'intime à peine entrouvert
Profitons de la plume d'un auteur turc pour nous extraire un peu de notre culture occidentale et plonger dans l'intimité d'un écrivain qui se livre. Qui se livre ? Pas tout à fait, car loin d'être un recueil de confessions, cette ensemble de trois textes reste pudique, discret, simplement évocateur. Les deux premières parties sont des nouvelles qui font la belle part au père de Pamuk, la troisième restitue le discours de Pamuk à la remise de son prix Nobel. On y trouve d'intéressantes réflexions sur le travail de l'écrivain, sur son isolement, sur les difficultés et le sentiment de frustration que Pamuk a lui-même vécu, lui écrivain turc, lui dont la langue est si facilement mise de côté par la culture occidentale qui s'impose, écrase, rend invisible. Ce qui cause une telle introspection ? Les écrits de son père, retrouvés des années après, des écrits dont il ignorait jusqu'à l'existence, tout un pan de cet homme qu'il ignorait et qui remet en question la figure paternelle idéalisée.
Ce dernier texte, de loin le plus intéressant, ne peut cependant pas se passer des deux premiers pour acquérir sa pleine force. Les deux histoires dressent un portrait ambivalent du père, entre présence et absence, entre attention et abandon. Très courtes, elles ne laissent le temps ni aux sentiments, ni à une véritable histoire de se mettre en place, et peuvent laisser sur la langue un goût d'inachevé, de trop peu -- même si la sobriété des textes nous épargne un pathos qui aurait été malvenu.
L'écriture d'une fluidité élégante de Orhan Pamuk ne peut qu'inviter à découvrir d'autres de ses oeuvres. Istanbul est là, derrière une fenêtre, et nous ne pouvons qu'y jeter un trop rapide coup d'oeil avant que les nouvelles ne se terminent. Sur ma faim, je suis persuadée que Mon père est une fenêtre éclairante, mais une petite fenêtre, presque un soupirail, sur l'oeuvre de l'auteur. Qui y jette de la lumière, mais n'en est certainement pas la meilleure porte d'entrée.