Pour comprendre et mieux apprécier "mon traître", le plus sage est encore d'interroger l'auteur lui-même. Extraits d'une interview accordée au figaro en 2008 (contient quelques spoilers)
- Vous vous êtes longtemps promis de ne jamais écrire sur l'Irlande autrement que dans un journal. Qu'est-ce qui vous a finalement convaincu de passer le pas ?
'Mon traître' est un livre accidentel. Il n'aurait jamais dû être écrit. Mais le 17 décembre 2005, j'apprends que Denis Donaldson était un traître. Il était pourtant celui que je conseillais à mes collègues de passage à Belfast. Il était drôle, élégant, jamais excessif. Je l'ai vu grandir. Sortir de prison. Prendre des responsabilités au sein du Sinn Féin. S'investir dans le processus de paix. Cet homme-là, depuis vingt-cinq ans, trahissait la cause républicaine, sa femme, sa famille, ses amis. La personne qui me disait de remonter mon col pour ne pas attraper froid était un traître. La personne qui me prenait par l'épaule d'une main, une bière dans l'autre était un traître. La personne qui venait chez moi à Paris était un traître. J'ai appris la nouvelle par téléphone. Je n'y ai pas cru sur le moment, pensant à une nouvelle tentative de déstabilisation de la part du gouvernement anglais. Mais les faits étaient là : une conférence de presse à Dublin avec des aveux publics. Je me suis effondré. Je devais expulser cette douleur. Je me sentais trop sale. Je devais écrire.
- En quoi le roman vous a-t-il permis de dépasser l'approche journalistique de ce sujet d’actualité ?
Je n'ai pas pu "enquêter" sur Denis Donaldson. J'étais beaucoup trop proche de tous les gens qui l'avaient côtoyé. J'ai donc décidé d'entreprendre ce travail de fiction. J'y ai été littéralement contraint, hanté par la douleur et entouré de gens dévastés. J'espérais pouvoir ainsi prendre de la distance. Grâce à Antoine et à Tyrone, je pensais m'échapper de Sorj et de Denis. Malheureusement, le livre n'a pas joué son rôle de catharsis. Antoine et Tyrone sont restés un luthier et un traître de papier. Et Denis Donaldson a été assassiné le 4 avril 2006 sans que je puisse lui demander si notre amitié était vraie. Juste cela. J'ai donc chargé Antoine de le faire pour moi. Un roman, c'est aller là où on ne peut aller. Lui seul a pu me permettre de passer la frontière. De vivre cette rencontre qui me manquait.
- Êtes-vous parvenu aujourd'hui à considérer Denis Donaldson "comme une victime de cette putain de guerre" ?
Oui, tout à fait. Des combattants de l'IRA sont tombés les armes à la main. Des civils sont morts sous les bombes. De jeunes Anglais, la vingtaine tout juste, se sont retrouvés face à la mort dans les rues hostiles de Belfast. Des grévistes de la faim se sont sacrifiés. Et je pense que Denis Donaldson fait partie de cette humanité que la guerre a saccagée.
- Depuis 'Le Petit Bonzi' et après 'Mon traître', le monde littéraire est-il devenu un peu plus le vôtre ?
J'ai quitté Libération le 2 février 2007. J'avais 55 ans. Difficile alors de refaire sa place dans un autre journal. Et voilà que l'on me dit "écrivain". Personnellement, je me sens comme dans une sorte d'entre-deux. De moins en moins journaliste, pas encore auteur. Je suis un peu comme un homme sans terre qui s'efforce de savoir qui il est. Denis Donaldson a compliqué les choses.
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J'ai aimé la modestie affichée par Chalandon en conclusion. Le défaut majeur de ce roman est en effet son manque d'envergure, son abus des phrases courtes, son écriture un peu hachée, en somme la jeunesse de son auteur dans le métier. Trop court, également : en 5h environ, la lecture est pliée, et on n'a guère eu le temps de s'attacher à ses personnages. Qu'on ne s'y trompe pas, néanmoins : c'est un bon roman, et on y trouve déjà la marque de fabrique de Chalandon et ses thèmes de prédilection : l'humain dans l'Histoire moderne mouvementée, la guerre comme machine à broyer les êtres. L'émotion est déjà là, même si elle n'atteint pas encore l'intensité de celle qu'on ressent dans "le quatrième mur".
Un livre étape, donc, dans la maturation de la plume de son auteur. La suite promet d'être encore meilleure, car Chalandon a encore tout à révéler sur les raisons de la traitrise de son ami ; rendez-vous à Killybegs.